La traversée des discours crépusculaires dans Les Villes tentaculaires (original) (raw)
l'auteur des Heursdu malmoins à sa définitionthéorique qu'à sa manièred'habiter et de représenter le lieu par excellence de la modernité: la ville. Au coeur de sa lecture d'Un poètelyriqueà l'apogée du capitalisme, il y a Paris, chef-lieude la bohème et point de rencontre du poète avec une foule humaine soumise aux règles de cet immense marché qu'est la grande ville capitaliste au milieu du XIxe siècle. Dans ce vaste territoire où la poésie elle-même est animée par le relativisme imposé par la valeur d'échange, le poète baudelairien ne cesse de spéculer sur sa ville, au sens philosophique et commercial du verbe. Devenu à son tour objet de spéculation, il obéit aux lois impersonnelles du marché littéraire. La ville lui apparaît alors sous la forme inhospitalière et tournoyante d'un «nouveau Carrouseb qui transporte les objets, les formes et les figures dans une mobilité sans fin : «La forme d'une ville / Change plus vite, hélas! que le coeur d'un mortel»2. Impossible d'y fixer le regard, car, sitôt achevée, toute description devient désuète, comme si le discours ne pouvait qu'être décalé par rapport à la réalité du moment: «Ce que l'on sait devoir bientôt disparaître de notre vue, devient image»3. Benjamin y voit la cause du sentiment de fragilité qui s'empare du poète: mouvement perpétuel, d'une part, et transparence de la signification, de l'autre. Paris n'est plus un lieu, mais une allégorie, un réseau de signes qui fait du citadin un lecteur, un interprète ou un acteur. Quel que soit son contour réel, la ville acquiert d'autant plus de présence qu'elle devient un «décor, semblable à l'âme de l'acteur»4. Chez Rimbaud aussi, la métaphore théâtrale servira à qualifier le cirque urbain : «À l'idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres»5. Chez Corbière encore, «tout n'est qu'artifice, théâtre, parade-bouffe, déchet, moisissure))6.Pas chez Verhaeren, dont Les villes tentaculaires sont citées par Benjamin comme le parfait contrepied de la grande ville baudelairienne. Si Benjamin choisit précisément l'exemple de Verhaeren (plutôt que celui de Rimbaud, de Corbière ou d'autres écrivains de la fin du XIXfsiècle) pour illustrer son propos et pour marquer l'originalité de Baudelaire, c'est parce que l'idée de la ville