PAUL NELSON Dimensions de l'espace libre (original) (raw)

Jean-Philippe Toussaint et l’ouverture de l’espace

Dès son début littéraire avec La Salle de bain il y a 20 ans, le romancier belge, Jean-Philippe Toussaint, écrit des romans qui se situent distinctement et explicitement à l'intérieur de la tradition du roman français moderniste. Gustave Flaubert, Marcel Proust, Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon sont pour lui des modèles incontournables. Dans La Télévision, roman publié en 1997, Toussaint introduit tout en souriant un gueuleoir, une haie d'aubépines et s'inscrit ostensiblement à la prestigieuse école du regard. 1 On trouve dans les romans de Jean-Philippe Toussaint une exploration surprenante et presque inlassable de l'espace. Et dans La Télévision, cette exploration passe par un grand nombre de scènes où des peintures se trouvent au centre de l'intérêt et servent à créer ce que j'ai nommé dans mon titre une ouverture de l'espace. L'examen spatial nous est avant tout communiqué par des descriptions où réalités physiques, traditions littéraires, questions métaphysiques et théories esthétiques se croisent et se font voir. Ainsi, Toussaint arrive à créer un espace littéraire fait de paysages présents et passés, réels et fictifs, construit de tableaux et de textes dont l'effet est celle d'une grande plasticité. C'est une technique romanesque faite pour accueillir mouvement et profondeur, adaptée entre autres à la description d'un été passé à Berlin au début des années 1990. Il y a quelques scènes clé dans La Télévision permettant d'étudier la représentation de l'espace de plus près. Au début du roman, le narrateur prend la décision de ne plus regarder la télé. Il éteint son téléviseur et la lumière dans son appartement, va vers la fenêtre et regarde l'immeuble en face : La perception décrite est dominée par le regard, le moment est longuement préparé et la description est construite à partir de l'opposition fondamentale entre lumière et obscurité. La nuit est sombre, et dans un premier temps, les toits des bâtiments seulement se font à peine deviner. Mais de l'édifice émane une lumière, une 1 Jean-Philippe Toussaint, La Télévision, Paris, les éditions de Minuit, 1997. Pour la scène du gueuleoir voir p. 101-102, pour les aubépines, lisez p. 119-120. En ce qui concerne l'héritage du nouveau roman, étudiez par exemple p. 121. Je voudrais remercier Andreas Krogvold pour les bons conseils qu'il a donnés lors de la préparation de cet article, et surtout pour ces remarques souriantes à propos des aubépines.