Pratiques de l'eucharistie dans les Eglises d'Orient et d'Occident. Antiquité et Moyen âge (original) (raw)
L’exorcisme des possédés, qui s’inscrit dans une longue mais inégale tradition ecclésiastique, semble gagner une importante nouvelle au XVe siècle dans un contexte de crise pour l’Église. Charismatique et/ou liturgique, il apparaît comme une arme de reconquête au sein d’une chrétienté menacée par les agents du diable que sont les hérétiques, les invocateurs de démons et les sorciers. L’atteste par exemple un épisode de possession collective qui a lieu à Saint-Galmier, non loin de Lyon, que l’inquisiteur et démonologue dominicain Nicolas Jacquier relate dans son "De calcatione demonum" (1457) : des femmes, reconnues comme possédées, sont exorcisées par des prêtres à grand renfort de formules, de messes et de processions ; au passage, les démons expulsés de leurs corps révèlent des secrets concernant la « secte exécrable des sorciers » – celle qui se livre à l’abominable sabbat dont l’imaginaire est en cours de diffusion depuis les années 1420 – et livrent aux sceptiques la preuve de sa réalité. La « parole de gronderie » qu’est l’exorcisme liturgique permet ainsi, de manière éclatante, de maîtriser le prince de ce monde et de rétablir la vérité et l’unité au bénéfice de la communauté, selon un schéma qui aura une grande fortune à l’époque moderne. Les démonologues et les théologiens du XVe siècle, notamment des réformateurs, accordent de fait une place plus importante à l’exorcisme liturgique comme moyen de lutter contre les menées diaboliques que ne le faisaient leurs prédécesseurs. Ils en rappellent les fondements, mais ils essaient surtout d’encadrer la forme et l’usage d’une pratique dont l’efficacité est avant tout fondée sur la valeur morale de celui qui opère et la licéité sur les objectifs que l’opérant alloue à la contrainte des démons. Parmi eux, nous accorderons une place particulière à Henri de Gorkum, un universitaire de Cologne formé auprès de Jean Gerson à Paris, qui est le premier à lui consacrer vers 1420 un traité entier, la "Practica ejiciendi demones". Henri se plaint d’un emploi désordonné, voire perverti de l’exorcisme, une pratique qui « n’est pas ordonnée par l’Église » et que chacun, notamment parmi les prêtres, exercerait en définitive comme il l’entend. En préciser les règles générales (plus que la liturgie) lui permet de mieux proscrire les exorcismes illicites, ceux que prescrivent les rituels latins de nigromancie [i.e. de magie démoniaque], qui entendent tirer profit de la contrainte exercée sur les démons et sont bien diffusés dans les milieux cléricaux. Cette nécessité de réforme est-elle seulement une vue de l’esprit ? L’apparition aux alentours de 1400 puis la diffusion des premiers Rituels d’exorcisme, à savoir des livres liturgiques exclusivement dédiés exclusivement à cette fonction, permet de se faire une idée plus précise. Ces Rituels, qui livrent ordines et formulaires, puisent à des traditions liturgiques souvent anciennes, reconnues comme canoniques. Bien que d’une grande variété, on pourrait s’attendre à ce qu’ils fixent une norme, notamment sur le plan liturgique. Or la réalité qu’ils donnent à voir semble s’accorder avec les inquiétudes d’un Henri de Gorkum. Non seulement ils font un usage abondant des formules en vernaculaire, globalement rejetées par les théologiens, mais nombre d’entre eux renferment des formulaires de conjuration voire des pratiques qui proviennent directement de la littérature magique médiévale, parfois sans adaptation véritable. Un parcours au sein de quelques-uns de ces livres d’exorcisme permettra de mettre en évidence cette perméabilité entre les deux facettes de l’exorcisme ou de la conjuration, qui perdure encore très largement dans les Rituels imprimés du XVIe siècle. Les textes qui témoignent de la codification progressive de l’exorcisme liturgique montrent ainsi que la frontière entre le licite et l’illicite est ténue et que l’ambivalence est souvent maîtresse dès lors qu’il s’agit d’exercer une forme de contrôle sur les démons, ce qui est en soi un enjeu de pouvoir de première importance, comme le montre, parmi d’autres, l’affaire de 1452.
L'Exode de Jésus : Typologie autour de l'Eucharistie
This article analyses the institution of the Eucharist by Jesus-Christ during the last Supper, as reported by Saint Luke (Lk 22, 14-20), focusing on the various typologies used by the evangelist and using the narrative analysis. When Jesus arrives in Jerusalem in Lk 19, he has been recognized by the disciples as the Messiah, true Prophet and King; but he has to prepare them for the tremendous humiliation of his Passion. He therefore “invents” his Last Supper as an anticipation of the mystery of his death and resurrection. This Supper is above all presented as a Passover meal, following the liturgy described in Ex 12. Jesus, using the expression of the “new Covenant”, borrowed from Jr 31, also refers to the covenant on Sinai (Ex 24). The theme of communion permeates the narrative, alluding to Lv 7 (sacrifices of communion), while the eschatological perspective orients the whole text. The article then analyses the relationship between Jesus and the Passover lamb, as well as his second “declaration” on the bread and the chalice, so striking for the disciples’ ears. Jesus really intended to found a new rite, which is the “new Passover” for the “new Covenant” to be realized by his Cross and his resurrection. The unity between all these themes is found in the aspect of self-offering. The conclusion is that Luke described Jesus’ action in the Last Supper using a particular typology, drawn from Exodus, as a key to penetrate the mystery of his death and resurrection. By the Eucharist, Jesus invites his disciples to follow him and live out their own Exodus, especially in the community, in order to have a part in his Resurrection.
La papauté et les missions catholiques en Orient au moyen âge
On considère généralement que cé'n'est qu'au xive siècle qu'une hiérarchie catholique a été instituée dans les pays de mission d'Orient. On en attribue l'initiative à Clément V, qui érigea en Ì307 Khanbaliq (Pékin) en métropole pour le célèbre franciscain Jean dé Montcorvin, tandis que Jean XXII devait confier en 1318 au dominicain Franco de Pérouse la nouvelle province ecclésias tique de Sultanieh, qui comprenait l'empire mongol de Perse.
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, p. 13-24., 2010
1 Présence réelle du corps et du sang du Christ sous les espèces du pain (hostie) et du vin. 2 Conversion de la substance du pain et du vin en la substance du Corps et du Sang du Christ, en vertu des paroles de consécration prononcées par le prêtre, qui reproduisent celles de l'institution de l'Eucharistie par le Christ, lors du dernier repas (la Cène) qu'il avait pris avec ses disciples à la veille de sa mort. 3 Alors que pour le catholicisme il n'y a plus ni pain ni vin après la consécration et qu'il ne reste que les apparences extérieures (les espèces), Luther maintient la dualité des substances, la permanence du pain et du vin (consubstantiation), ce qui permet de croire que la présence réelle ne serait que temporaire.
Scepticisme ou renoncement au dogme? Interpréter l'Eucharistie aux XIIIe et XIVe siècles
Chôra. Revue d'études anciennes et médiévales, 6, 2008, p. 251-288., 2008
It is well known that during the Middle Ages the Eucharist was not only a theological question but also a philosophical one. Recent studies have shown the semantical and ontological problems concerning the status of substances and accidents after the transsubstantiation. Here the paper focuses on the gnoseological problem of the Eucharist. How do we know that the substance has changed after the consecration of the host ? Moreover, how do we manage to know substances in general if sometimes it changes without apparent modifications in the accidental features apprehended by our sense faculties ? The aim of this paper is to show that a new dilemma appeared at the end of the 13th century between the sceptical consequences of the dogma of transsubstantiation and the necessity to abandon or at least to interpret differently the sacrament. Wyclif chose the second option while most of the theologians and philosophers tried to adapt their theory of knowledge, especially the Franciscans, to which a large part of this paper is devoted. This paper tries to assess the different solutions to this problem of the knowability of substances.
Sacrements et sacramentaux catholiques à l'époque moderne
La liturgie est action avant d'être discours, mais elle l'est aussi et donc les débats conceptuels sur le rôle des gestes et des paroles révèlent des ressorts inattendus à l'historien observant les comportements religieux. Les chrétiens de l'Antiquité avaient choisi de traduire le mot grec mysteria par sacramenta et non par arcana, tout en cultivant l'idée de signe et celle de sanctification que comportait le mot. Les sacramenta étaient donc multiples même si certains étaient plus importants que d'autres 1 , la bénédiction des cendres ou du cierge de la Chandeleur n'étaient pas dans cet esprit intrinsèquement différents de la pénitence, de l'ordre ou de la consécration des Vierges, car ils renvoyaient les uns et les autres à l'eschatologie du Nouveau Testament. Le Moyen Age lègue pourtant au christianisme occidental une division à la fois juridique et sacrale entre sacrements et sacramentaux qui est loin d'être aussi nette dans le christianisme oriental : d'un côté les sept sacrements du salut, sacramenta majora et de l'autre les signes sensibles qui aident la nature humaine à accéder à la grâce, les sacramenta minora selon Abelard déjà au début du XII e siècle. En fait, le mot sacramentalia est attesté dès 1143 dans le sens d'instrument et, très vite, les sacramentaux sont appliqués à des choses (vases, huile, eau bénite…) et des actions (consécration, exorcisme, bénédiction). C'est en 1439, lors de l'union avec les Arméniens que cette cassure est en quelque sorte officialisée. Elle n'est pas née au XV e siècle mais résulte de tout un travail doctrinal de l'Occident à partir du vocabulaire légué par la fin de l'Antiquité sur les différences entre l'Ancien et le Nouveau Testament : il y avait des sacramenta dans l'Ancien Testament, mais ils ne donnaient pas la grâce, à la différence de ceux du Nouveau Testament, donc ils ne pouvaient être appelés sacrements. Dès le XIV e siècle, les sacrements du Christ, signes visibles de la grâce invisible et signes externes de la foi acceptée, sont considérés efficaces ex opere operato quelles que soient les conditions de leur réception, du moment que l'intention de les accepter est bien présente. Tandis que ceux de l'Ancien Testament, gestes et paroles dont l'Église fait usage pour obtenir des biens spirituels, préparer les sacrements, rassurer les fidèles, les accompagner… ne sont efficaces qu'ex opera operantis Ecclesiae et peuvent être modifiés par elle. Ces derniers sont pourtant utiles car pédagogiques, signes de la bienveillance de Dieu qui rassure et soutient ses fidèles dans leur pèlerinage terrestre. Comme ils ont été utilisés par le Christ, la frontière avec les sacrements reste cependant ténue et l'histoire sainte ou les pratiques dévotes ne s'embarrassent que peu de la distinction intellectuelle scolastique. Le néoplatonisme dominant de la Renaissance peut s'accomoder des médiations hiérarchiques que supposent ces définitions 2. En fait, ce sont les débats du XVI e siècle qui provoquent une série de mises au point fixant de façon assez rigide la frontière des sacrements et de leurs effets dans lesquelles se débattent aujourd'hui encore psychologues et anthropologues. Entre la fin du XV e siècle et le XVIII e siècle, deux révolutions ont fait éclater les trop subtiles références scolastiques et entamé une série de mises au point juridiques : l'imprimerie et la Réformation. Conservés dans les rituels des paroisses et diocèses, sacramentaux et sacrements sont l'objet d'un traitement et de commentaires rubriqués dont on peut suivre les fortunes changeantes dans les Rituels imprimés. Si la définition médiévale du septénaire sacramentaire est choisie par Trente pour structurer le dogme en éliminant les hérésies, il n'en est pas de même des sacramentaux, laissés dans le flou, tandis que la définition protestante les déconsidérait. Or nous savons par les écrits du for privé ou les anthropologues, que la frontière entre sacrements et sacramentaux est pour le moins poreuse selon les moments et les territoires, c'est pourquoi le concile Vatican II a dû longuement statuer sur ce sujet 3. De cette porosité témoignent les bénédictions et les exorcismes qui méritent d'être observés plus attentivement car ils sont l'objet d'un combat de la part du clergé et des élites dévotes. 1 Pour une approche historique des débats vue du côté catholique et les inflexions postérieures au concile de Vatican II : les articles du DACL, du DTC et du DDC, puis de Catholicisme (Louis-Marie Chauvet). 2 Le début de La hiérarchie céleste en témoigne (I, 1-3) : Pseudo Denis, OEuvres complètes, tr. M. de Gandillac, Paris, 1943, p. 185-187. 3 De sacra liturgia, ses. III, 4 déc. 1963, chapitre 3, De ceteris sacramentis et sacramentalibus.
Aspects de la distinction eucharistique. Quelques commentaires médiévaux du Psaume 22
« Vous n'en mangerez point »:L'alimentation comme distinction religieuse, 2019
L'eucharistie est le rite central du christianisme et du catholicisme en particulier. Les chrétiens lui ont donné des significations et des interprétations multiples à différentes époques. Dans le catholicisme néanmoins, une ligne d'interprétation s'est imposée aux 11 e-12 e siècles, solennellement actée lors du concile de Latran IV en 1215 : « Une est l'Église universelle des fidèles, hors de laquelle absolument personne n'est sauvé et dans laquelle Jésus-Christ est à la fois le prêtre et le sacrifice, lui dont le corps et le sang sont vraiment contenus dans le sacrement de l'autel sous les apparences du pain et du vin transsubstantiés, le pain en corps et le vin en sang, par la puissance divine, pour que, afin d'accomplir le mystère de l'unité, nous recevions (quelque chose) de son (corps) à lui qui reçut (quelque chose) du nôtre. Et personne ne peut accomplir ce sacrement sinon le prêtre qui a été rituellement ordonné selon les clés de l'Église, que Jésus-Christ a concédées à ses apôtres et à leurs successeurs. » 1 Ce court paragraphe intègre les strates des interprétations élaborées jusque-là et met l'accent sur les aspects qui importaient le plus à Innocent III (pape de 1198 à 1216), grand ordonnateur de ce concile oecuménique parmi les plus importants de l'Église chrétienne. Le Moyen Âge hérite de l'interprétation antique de la constitution de l'Église comme unité à partir du sacrifice du Christ, et de la constitution de la communauté ecclésiale à travers la participation au rite. Par là les fidèles s'incorporent au corps du Christ, ils forment ce corps du Christ qu'est l'Église, à la fois une et universelle, puisque la rédemption chrétienne s'adresse à toute l'humanité. 2 Ce rite est un sacrifice et une manducation. Le Christ, homme-dieu, se sacrifie pour le salut des hommes. Comme homme ayant assumé les péchés des hommes il est sacrifié, comme Dieu il est le sacrificateur, le prêtre. Le sacrifice est suivi de manducation. L'officiant et les fidèles ingèrent le pain et le vin devenus corps et sang du Christ.