Des vies créatives (original) (raw)

© École des hautes études en sciences sociales L'ANCIENNETÉ DE L'INTÉRÊT pour les ressorts de la création, artistique et intellectuelle d'une manière générale, est bien connue et documentée depuis l'Antiquité. Ernst Kris et Otto Kurz (1987 [1934]) en avaient dégagé, il y a plus de quatre-vingts ans, les sources et formes principales rendant compte notamment de la fabrication du « mystère de la création » dans le goût général pour les « vies » (des artistes, des philosophes, des savants, etc.). Intérêt ancien mais également continu, avec des phases particulièrement actives d'enquêtes visant au percement obsessionnel du « secret » des créateurs. Le milieu du XVII e siècle voit ce mouvement se stabiliser à un très haut niveau d'intensité qui a pu prendre des formes très diverses, complexifiées encore par l'intervention, volontaire ou sollicitée, des créateurs euxmêmes. Ces derniers participent à l'explicitation de leur mécanique intérieure en disant leur vie, en se laissant « visiter » (une pratique qui se répand au XVIII e siècle), en se soumettant à des projets d'enquête (ante puis post mortem : les autopsies de « génies » vont se multiplier au XIX e siècle), en élevant enfin, à partir des années 1920, l'acte de création au niveau de l'oeuvre elle-même, puis la dépassant : « Nous voulons montrer notre travail, et non faire des oeuvres », aimait à dire Pablo Picasso, selon Francis Ponge (cité p. 35). Et cela renvoyait, pour Picasso et pour d'autres dans des champs distincts des arts et des sciences, à un véritable projet d'anthropologie générale : « Sans doute existera-t-il un jour une science, que l'on appellera peut-être science de l'homme, qui cherchera à pénétrer plus avant l'homme à travers l'homme créateur… À PROPOS