Nathalie Sarraute et l’usage de la parole. De l’oralité pure (original) (raw)

est un écrivain et un dramaturge de l'oralité, on peut répondre tout d'abord par un détour et une évidence : ce n'est à coup sûr pas un écrivain du visible, voire de la visibilité, et du coup sans doute pas un écrivain de théâtre (si l'on veut ramener ce terme à son étymologie, que rappelait volontiers Barthes). Il n'y a, dans tous les cas, jamais rien à voir dans son « théâtre » : pas de lieu, pas d'espace (autre que sonore), quasiment jamais d'objet (sauf la « gravure » de C'est beau, mais que précisément l'on ne voit pas). Elle disait elle-même, ou plutôt elle répétait inlassablement : « Je ne vois rien quand j'écris », au point d'avoir été longtemps rétive à l'idée d'écrire pour la scène et à la vision directe que celle-ci impliquait ; de son côté Claude Régy, qui reste pourtant l'artiste qu'elle respecta le plus, estimait n'avoir pas su mettre en scène les textes de son amie, faute d'avoir osé plaquer ses acteurs contre les murs et les plonger dans le noir le plus complet. C'est d'ailleurs parce qu'il avait le sentiment d'avoir échoué dans ses mises en scène des oeuvres de Nathalie Sarraute qu'il n'en a pas parlé dans Espaces perdus, alors que c'est, avec Marguerite Duras, l'écrivain dont il s'est lui-même toujours senti le plus proche ; inversement, s'il n'a pas parlé d'elle dans Espaces perdus, il a voulu, symptomatiquement, lui donner la parole dans le seul « film » qu'il ait jamais réalisé : Conversations avec Claude Régy. À défaut, donc, et toujours selon lui, de parvenir à faire voir sur scène son univers, il choisit de la faire parler elle-même, et de la faire lire devant la caméra. Rien que ça. Comme si tout était là, donné dans l'écriture et dans la parole vive de l'écrivain. Et de fait tout repose, chez elle, sur cet « usage de la parole » dont elle a fait le titre d'une de ses oeuvres. 2 Est-ce, pour autant, que Sarraute fut un écrivain de l'oreille, pour reprendre une expression que Robert Pinget s'appliquait à lui-même (et il le faisait pour sa part en réaction à la réduction que l'on faisait de ses oeuvres à une supposée « école du regard 1 »). On pourrait le penser, à condition de préciser ce que par là il faut entendre (si l'on peut dire sans jeu de mots…), et affirmer dès à présent que tous les écrivains de l'oreille ne sont pas des Nathalie Sarraute et l'usage de la parole. De l'oralité pure Revue Sciences/Lettres, 6 | 2019 10 Tenter seulement de lire ces lignes pour soi amène à comprendre comment Nathalie Sarraute réclame de son lecteur qu'il soit d'abord un acteur, c'est-à-dire quelqu'un qui lit Nathalie Sarraute et l'usage de la parole. De l'oralité pure Revue Sciences/Lettres, 6 | 2019