L’Allemagne, l’Europe et la mémoire juive (original) (raw)

1996, Revue germanique internationale

Disons-le d'emblée : la position que je compte prendre pour analyser l'évolution actuelle, et éventuellement future, est juive. Ceci signifie pour moi, dans ce contexte, adopter un point de vue qui bénéficie d'une expérience non pas personnelle mais transmise, et qui pousse à voir les choses sous un angle dans lequel les faits marquants des années 30 et 40 jouent nécessairement un rôle primordial. Considérée sous cet angle, l'évolution en Europe et, dans son centre, en Allemagne laisse une impression très ambiguë. Les raisons en sont multiples et paradoxales. J'espère que je parviendrai au moins à traiter quelques aspects du problème, à développer une certaine analyse du présent et, éventuellement, à ébaucher une vision du futur. L'ambiguïté dont il est question se nourrit d'une situation paradoxale du simple fait que la perception juive de l'évolution actuelle ou des événements des dernières années-l'effondrement de l'Empire soviétique ou, si l'on veut, la victoire de la liberté démocratique contre l'idéal trahi de l'égalité prise au pied de la lettre-situe les Juifs du côté des vainqueurs. Face au conflit qui opposait l'Ouest et l'Est, les Juifs se sont toujours sentis comme faisant partie de l'Ouest. Il n'y a donc aucune raison de regretter les changements survenus ces dernières années. Que signifiait en effet l'Europe de l'Est pour les Juifs qui y vivaient, comme d'ailleurs pour les Juifs de l'Ouest ? Historiquement, le communisme déifiait les projets abstraits d'avenir, écartant ainsi les Juifs qui se trouvent plutôt du côté de la conservation, du passé et de la tradition. Le conflit qui opposait l'identité juive et le communisme d'Etat traduisait en fait l'antagonisme entre, d'un côté, un universalisme enrichi de particularisme juif, et de l'autre un universalisme abstrait, faux et réducteur selon moi.