Entretien : Maurice Sartre et le métier d’historien (original) (raw)

Nous proposons ici le texte à peine retouché d'un entretien avec Maurice Sartre qui s'est déroulé le 14 mai 2010, à l'Université de Toulouse II-Le Mirail, dans le cadre du séminaire annuel de l'équipe PLH-ERASME. Nous avons conservé pour l'essentiel la spontanéité et la tournure orale des échanges, et ajouté quelques notes pour aider les lecteurs. Nous remercions Nathaël Recoursé, doctorant, pour une première transcription de l'enregistrement intégral, et Maurice Sartre, à la fois pour sa révision et pour la générosité qu'il a manifestée lors de cette visite. L'article qui suit est comme une mise en oeuvre des principes exposés et discutés au cours de ces échanges. Pascal Payen : La meilleure façon de rendre hommage à un historien, à ses travaux, à ses recherches, est certainement de le convier à en parler et de dialoguer avec lui sur son métier. Maurice Sartre a de longues années de pratique de ce métier et de débat sur l'évolution des sciences historiques et sur les rapports entre recherche et diffusion des connaissances. Ses analyses peuvent donc intéresser tous les historiens que nous sommes, jeunes et moins jeunes. Faire venir Maurice Sartre, que nous remercions d'avoir fait le voyage spécialement de Syrie pour cette occasion, était un projet que nous avions en tête depuis quelques années, parce que la diversité de ses activités d'historien et au service de l'histoire correspond bien à l'esprit que nous tentons d'impulser au sein de l'équipe ERASME, autour de l'Antiquité et de ses réceptions. Pour ouvrir la table ronde en songeant à la diversité des publics qui sont réunis, je voudrais tout d'abord présenter l'oeuvre de Maurice Sartre, en essayant de dégager, livres à l'appui, ce qui constitue les lignes de force de son travail d'historien et de son activité. Le premier registre dans lequel se situent ses travaux est celui de l'érudition. Le territoire de Maurice Sartre historien est la Syrie ancienne, le Levant antique, une très vaste région couverte par les États modernes du Liban, d'Israël, des territoires palestiniens, de la Syrie et de la Jordanie. Maurice Sartre a ainsi édité de nombreuses inscriptions depuis 1982, lorsqu'il publie, dans les Inscriptions grecques et latines de Syrie, le volume 13.1, consacré à Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011 la cité de Bostra 1 , la capitale de la province romaine d'Arabie, dont il est le spécialiste, comme en témoigne la monographie qu'il lui consacre en 1985 2. Dans sa carrière, ce sont plus de 4 000 inscriptions qu'il a trouvées, accompagné de son épouse, historienne elle aussi, qu'il a éditées et commentées avec elle. Le deuxième registre se situe à la croisée du domaine savant et des activités d'enseignement. Maurice Sartre est l'auteur de grandes synthèses concernant l'histoire du Proche-Orient à l'époque hellénistique et romaine. Le premier ouvrage rédigé en ce sens est L'Orient romain. Provinces et sociétés provinciales en Méditerranée orientale d'Auguste aux Sévères, 31 av. J.-C.-235 ap. J.-C., publié en 1991 3. Mais celui qui me séduit le plus dans cette vaste production est un autre livre de synthèse, dont il dit qu'il l'a écrit avant tout pour lui-même et non pas pour le public : D'Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique, IV e siècle av. J.-C.-III e siècle ap. J.-C., paru en 2001 4. Dans le même registre, on signalera encore les manuels, c'est-à-dire des livres qui permettent à des générations d'étudiants, mais aussi de collègues, de se former, en particulier ceux qui ont paru dans la collection U, chez Armand Colin : L'Asie mineure et l'Anatolie, d'Alexandre à Dioclétien IV e siècle av. J.-C.-III e siècle ap. J.-C. 5 et L'Anatolie hellénistique, de l'Égée au Caucase 6. Une troisième facette de ce vaste travail est la diffusion du savoir historique, destinée à toucher des publics plus larges que ceux des milieux universitaires. Je voudrais signaler à ce sujet un livre passionnant : Histoires grecques, paru en 2006 et constitué de quarantetrois courts chapitres reposant sur une source, d'abord traduite, puis objet d'un commentaire historique 7. Ce livre est une vraie leçon de méthode, et il est déjà traduit en anglais, aux États-Unis, avec des traductions en préparation en serbe, turc et grec. Je signale également, dans le même registre, un livre intitulé La Syrie antique 8. Enfin, il faut souligner la place que prend Maurice Sartre dans la revue L'Histoire où il siège depuis maintenant quinze ans au comité de rédaction. De même, chacun connaît sa participation active au Monde des livres et son rôle dans les débuts des « Rendezvous de l'histoire » à Blois. Ces trois registres : l'érudition scientifique, l'écriture de larges synthèses, les formes variées de la diffusion du savoir, sont, reconnaissons-le, fort difficiles à concilier, ne serait-ce que pour des raisons de temps. J'ajoute que Maurice Sartre a été un enseignant, un universitaire, faisant des cours, participant à des jurys de concours, dirigeant des mémoires de toute sorte et de très nombreuses thèses. C'est donc autour de ces travaux que nous allons échanger, enseignants-chercheurs, doctorants et public. Il sera question de l'histoire et de l'archéologie du Proche-Orient, et des rapports entre Orient ancien et Orient moderne ; nous discuterons aussi de l'engagement de l'historien dans les formes de diffusion du savoir et des dossiers qui semblent les plus prometteurs dans le domaine de l'histoire de l'Antiquité, y compris les questions de réception qui nous tiennent spécialement à coeur. J'ouvre le débat par une première question. Depuis le début des années '60, l'étude de l'Antiquité n'est nullement restée à l'écart des grands renouvellements historiographiques qui ont touché l'ensemble des disciplines historiques, en particulier par la rencontre avec d'autres disciplines : je pense à la psychologie historique et à l'anthropologie-et je renvoie à l'oeuvre de Jean-Pierre Vernant-, mais aussi avec la sociologie, du côté de Paul Veyne, dont le grand livre Le pain et le cirque est sous-titré Sociologie historique d'un pluralisme politique 9. Le renouvellement s'est opéré aussi du côté des thématiques, par exemple avec l'histoire des rapports entre les sexes. Quelle appréciation d'ensemble portez-vous sur ce renouvellement du questionnement dans le champ historiographique depuis quarante ou cinquante ans ? Ce contexte at -il exercé une influence sur vos propres recherches et, si c'est le cas, en quel sens ? Maurice Sartre : Ce n'est pas par esprit de contradiction, encore que l'historien se doit d'avoir l'esprit de contradiction, mais je vais répondre aux questions en sens inverse. D'abord, merci pour cette présentation, qui souligne l'une de mes plus profondes convictions : je crois effectivement que l'érudition est le fondement de Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011 Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011 Pour ce qui est des synthèses, je les crois aussi indispensables qu'éphémères. D'autres chercheurs, plus jeunes, donneront un jour des synthèses proposant une nouvelle Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011