La Pudeur de Georges Perec (original) (raw)

Les grands textes de Perec ne parlent pas de sexe, ou en parlent très peu. Pour expliquer cette pudeur on ne peut invoquer l'obédience oulipienne, car de nombreux écrivains de cette mouvance se sont exprimés avec éloquence sur la chose (Mathews, Roubaud, par exemple). On ne l'explique pas non plus par la tradition des lettres françaises, qui depuis le moyen âge donnent une place prépondérante à la passion amoureuse et son expression physique. Et on l'explique encore moins par le contexte historique -Perec est un auteur des années 1960 et 70, années de la « libération sexuelle » et d'une littérature à l'avenant. Ainsi le silence des textes de Perec sur l'article du sexe en constitue une excentricité significative. Rappelons comme premier exemple la totale invraisemblance des Choses, cette « histoire des années 60 » où de jeunes psychosociologues ont tous les désirs imaginables, sauf le désir de s'aimer. Il s'agit ici sans doute d'une stratégie et d'un choix littéraires. Il s'agit aussi, indubitablement, d'une extension au champ de l'expression littéraire d'une caractéristique personnelle de Georges Perec. Mais pourquoi cette stratégie ? Et que signifie cette réticence tant humaine que littéraire ? Précisons d'abord que l'oeuvre de Perec n'est pas étrangère aux passions. Il y en a pour presque tous les goûts : passion du confort (Les Choses) et de la collection (de buvards, d'unica, de couvertures de cheval, entre autres, dans la Vie mode d'emploi), passion de l'arnaque et du faux (le Condottiere), passion de l'histoire et du sauvetage de mots oubliés, passion de la compétition sportive et passion vengeresse -toutes les passions imaginables, futiles et grandioses, bizarres et banales, ont leur anecdote, leur « personnage », leur histoire emblématique dans les grandes oeuvres de Perec. A une grande exception près : il n'y a pas de véritable histoire d'amour dans les romans publiés, il n'y a pas de grand récit du désir, ni aucune scène majeure de nature érotique. (Nous reviendrons plus tard à la seule exception flagrante de cette exception, l'orgie des Revenentes.) La critique perecquienne nous a beaucoup appris sur le rôle primordial du manque dans la construction de l'oeuvre. Le chapitre manquant (celui qui serait venu en 66e position) de la grandiose structure de La Vie mode d'emploi, le vers manquant (le 180e) du Compendium du chapitre LI de ce même roman, la lettre manquante de La Disparition, les originaux « en manque » du Cabinet d'amateur, ont été commentés et interprétés maintes fois et souvent avec bonheur. Mais au manque thématique le plus évident -l'absence des