De la Terre à la Lune (original) (raw)

2013, 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze

De la Terre à la Lune Dossier coordonné par François Albera, Laurent Le Forestier et Benoît Turquety Ce dossier « Archives » est de nature un peu particulière. En résonance avec le « Point de vue » de Paolo Cherchi Usai de ce numéro, il revient sur les questions qui se posent violemment aujourd'hui aux archivistes, aux conservateurs, aux collectionneurs et aux chercheurs-le public étant lui convoqué à une autre place-liées aux nouvelles conditions de reproduction-conservation-restauration des films dues à la généralisation des technologies liées au numérique. Il le fait à partir d'un cas particulier sur lequel se croisent l'ensemble de ces questions générales produisant un effet de loupe : en effet, la réédition du Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès a déclenché des discussions, ouvert un débat. Mais il le fait dans le dessein d'amorcer une réflexion d'ordre épistémologique sur ces questions avec l'espoir de susciter des réactions, réponses, propositions de la part des intéressés. Cent dix ans après, ce petit film a généré émissions de radio et de télévision, projections dans des festivals et des musées (Cannes aussi bien que Pordenone, le MoMA ou le Festival du film d'Abu Dhabi), DVD, numéros spéciaux de revues, dossiers et même-signe de vitalité-: polémiques. Car on a beau faire, multiplier les garde-fous, ériger des périodisations, marquer des césures, évoquer des tournants voire des révolutions, la période dite-depuis les années 1970-« des premiers temps » du cinéma ne cesse de faire retour dans les débats actuels ; elle le fait même de plus en plus pour les chercheurs qui y trouvent matière à réfléchir à des phénomènes actuels (voir dans notre n°66 « Game Story, une histoire du jeu vidéo ») comme pour les spectateurs « ordinaires » qui appréhendent les films de multiples façons et se les approprient tout autrement que selon le « canon » qu'on avait fait prévaloir. C'est que, décidément, nombre des problèmes auxquels se confronte de nos jours le cinéma s'y posaient : les distinctions légitimantes à la Canudo, les ontologies, les classements n'y peuvent rien ! Cette époque du cinéma nous parle, nous intéresse, nous fascine. Le cinéma y est hybride, transgenre, médium autant que média, dispositif social (voir « Le paradigme cinématographique » dans le même n°66). Le texte que nous ont adressé Roland Cosandey et Jacques Malthête l'an dernier-trop tard pour prendre place dans le n°67 de la revue-à propos de cette réédition du Voyage dans la Lune engage toute une série de questions. Serge Bromberg (Lobster) et Béatrice de Pastre (AFF) ont répondu dans le Journal of Film Preservation, organe de la FIAF, sur le cas particulier. Nous n'ajouterons rien à ces échanges mais nous avons choisi d'aborder deux ensembles de problèmes liés entre eux et liés à cette circonstance qu'ils éclairent : a) ceux de la « construction » du Voyage dans la Lune de Méliès comme chefd'oeuvre de son auteur, sommet du patrimoine du cinéma des premiers temps, qui culmine avec cette édition DVD et que sanctifie un récent numéro de l'Avant-Scène ; b) ceux de la conservation du patrimoine filmique d'une part et de sa restauration d'autre part que la manifestation de la Cinémathèque française de novembre dernier, « Toute la mémoire du monde », a mis en pleine lumière à la faveur d'une table ronde et de quelques conférences (nous y revenons dans la première partie de ce texte).