L'historiographie italienne face à la Grande Guerre: saisons et ruptures (original) (raw)

Histoire@Politique, 2014, 22 "Historiographies de la Première Guerre Mondiale"

Marco Mondini, « L'historiographie italienne face à la Grande Guerre : saisons et ruptures », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 22, janvier-avril 2014 [en ligne, www.histoirepolitique.fr\] Le « paradigme patriotique » pendant les vingt premières années de l'Italie républicaine Dans l'Italie républicaine, l'historiographie de la Grande Guerre s'articule en quatre grandes saisons qui correspondent à la domination de grands paradigmes interprétatifs. Les trois premières périodes sont marquées par un nombre restreint de monographies ou d'ouvrages collectifs ouvrant des voies nouvelles et rapidement considérées comme canoniques, tant du point de vue méthodologique que documentaire. On peut ainsi parler d'une première saison de la continuité du paradigme patriotique (de 1945 à 1968), suivie d'une saison de rupture (de 1968 à la fin des années 1980) et d'une décennie d'hégémonie de ce qu'on a appelé l'historiographie de la dissidence (des années 1990 aux premières années 2000). Le passage politique que représente le second après-guerre, avec la transition vers la République et la nouvelle Constitution, n'a pas en effet immédiatement induit un changement de paradigmes historiographiques. D'un côté, le retour à la démocratie comporte la disparition des dures contraintes de la censure qui avaient empêché le développement de tout débat sur les raisons et la conduite du conflit. En même temps, les chercheurs qui s'occupent de la Grande Guerre appartiennent souvent à cette génération d'intellectuels qui se reconnaissait dans le programme du soi-disant « interventionnisme démocratique » de 1915 et qui avait représenté la seule position s'inscrivant en faux contre la vulgate nationaliste, imposée par le fascisme, en vertu de laquelle le conflit apparaissait comme une gigantesque « épreuve du feu », conduite brillamment par les chefs politiques et militaires de la nation et soutenue sans défaillance par le peuple, qui donnait à la nouvelle Italie le droit de remplir un rôle de grande puissance impériale. En réalité, le régime n'était pas intervenu pour promouvoir directement une école historique. La mémoire collective de la Première Guerre mondiale en Italie avait été plutôt confiée à la vague de la littérature de témoignage (se fondant sur les mémoires et les journaux intimes), à la publication, commencée en 1927, du rapport officiel de l'État-major de l'armée et à la publication d'histoires d'unités militaires, publiées le plus souvent par des officiers en congé 1 . L'autonomie des historiens militaires était relative. La censure imposée au Saggio critico sulla nostra guerra écrit par le général Roberto Bencivenga est exemplaire : ancien membre de l'État-major pendant la guerre, tombé en disgrâce après un différend avec Luigi Cadorna, antifasciste actif, il ne put publier que semi-clandestinement ses ouvrages extrêmement polémiques sur