[avec FRANCIS, Emmanuel et GILLET, Valérie], « Trésors inédits du Pays tamoul. Chronique des études pallava II », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient 93, 2006 [2008], p. 431-484. (original) (raw)

Trésors inédits du pays tamoul : chronique des études pallava II. Vestiges pallava autour de Mahābalipuram et à Taccūr

Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient, 2006

au sud de Mahâbalipuram (12°34'07" N et 80°09'20" E ; district de Kâncipuram, taluk de Tirukkalukkunram3), une stèle en granite gris (105 x 65 cm) gît à côté d'un liiïga sur un monticule parmi des blocs de granite brisés. Il s'agit d'une Gangâdharamûrti, représentation de la descente du Gange dans la chevelure de Siva (fig. 3). Debout, fortement déhanché, le dieu à huit bras replie haut sa jambe droite, le bras naturel droit tendu en diagonale vers le ciel pour présenter à la Garigâ une mèche de cheveux. La rivière y descend, sous les traits d'une femme dont le buste en prière s'achève sur un corps de serpent. Les sept autres bras du dieu se déploient autour de lui. Occupant le tiers gauche de l'image, Pârvatï se tient à la droite de Siva, lui arrivant à l'épaule4. La composition est très dynamique : le corps du dieu semble tout entier tendu vers la Gafigâ dont la torsion du corps accentue celle du geste du dieu. En partant du bas de la représentation, la première des mains droites de Siva repose sur la hanche de Pârvatï ; la seconde apparaît, gracieuse, au-dessus de l'épaule de la déesse ; entre le bras naturel étendant une mèche et la tête du dieu, la dernière élève le croissant de lune inscrit dans un cercle. À gauche, la première main s'appuie sur le haut de la cuisse ; la deuxième, la main naturelle, adopte un geste propre à certaines divinités en contexte pallava 5 ; la troisième, levée à hauteur de l'épaule, se referme autour d'un serpent ; la dernière va toucher la coiffe. Style et iconographie rapprochent la sculpture de Kunnattûr des représentations de l'époque de Narasimhavarman II (début du vme siècle)6 : mêmes modelé et proportions ; mêmes ornements (bracelets, colliers et nombreuses écharpes nouées autour des hanches) ; mêmes coiffes 7 ; même mince auréole dessinée derrière la tête de Siva. Les attitudes des divinités ont aussi de nombreux équivalents dans les représentations pallava du vme siècle. Comme à Kunnattûr, Siva plie la jambe droite et pose le pied gauche sur une sorte de piédestal tant dans les Gangâdharamûrti que 3. Kunnattûr se trouve entre l'« East Coast Road » et le rivage de la baie du Bengale, au sud du village de Manamai. La distance par rapport à Mahâbalipuram est de onze kilomètres environ par la route asphaltée et de sept kilomètres à vol d'oiseau. 4. Droite et gauche sont celles de l'observateur, sauf mention expresse de celles des personnages représentés. 5. Cette mudrâ pourrait être décrite ainsi : le pouce, l'index et le majeur sont repliés tandis que l ' annul ai re et l'auriculaire sont tendus. Nous pensons qu'elle est liée à la connaissance parce qu'elle apparaît également pour les Daksinàmûrti et les Liiigodbhavamûrti. 6. Pour une figure de comparaison, voir E. Francis et al. (2005, p. 600, fig. 10). Pour d'autres représentations, voir les temples du Kailâsanâtha, de l'Airâvatesvara et du Piravâttânesvara, à Kâncipuram, datés du premier quart du vme siècle ; voir aussi, sur le même site, les temples de l'Iravâttânesvara et de l'Amaresvara qui semblent postérieurs aux précédents et pourraient dater de la fin du règne de Narasimhavarman II ou peut-être de celui de ses successeurs, cf. V. Gillet (2006, p. 44-47 et à paraître). Nous ne préciserons plus dans la suite de ce texte que ces temples pallava sont situés à Kâncipuram. 7. Le bandeau inférieur de la coiffure de Siva est typique des figures pallava de ce dieu. Quant à Pârvatï, elle porte un très haut chignon caractéristique des représentations féminines de cette époque : il s'amincit au-dessus des deux bandeaux symétriques de cheveux qui encadrent le visage. Voir, par exemple, la représentation qui clôt la circumambulation du vimâna du Kailâsanâtha (E. Francis et al. 2005, fig. 10). Trésors inédits du pays tamoul : chronique des études pallava // 433 Fig. 3. La Gaiigadharamurti de Kunnattur. Cliché : G. Ravindran (EFEO, 2007). dans les Tripurântakamûrti de cette époque8. Dans les Garigâdharamûrti du vuie siècle, Pârvatï tourne, comme ici, le visage vers Siva, légèrement déhanchée, une jambe fléchie passant devant l'autre. Nous inclinons dès lors à dater la stèle de Kunnattur dans le cours du vme siècle, plutôt dans sa première moitié, d'autant que dans les Gaiigadharamurti du ixe siècle, Siva adopte une pose différente, les deux pieds sur le sol avec une jambe légèrement fléchie. La descente du Gange est l'un des thèmes favoris de l'imagerie royale pallava9. Elle marque, dans la grotte de Trichy, les commencements de l'art royal de cette dynastie en pays tamoul. Elle constitue la représentation majeure du site de 8. Au Kailâsanâtha, à l' Airâvatesvara, à riravâttânesvara, au Muktesvara, tous sur le site de Kâncipuram ; au Temple du Rivage, à Mahâbalipuram. Cependant, sur la façade nord du temple de TAmaresvara, aujourd'hui rénové, se trouvait une Gaiigadharamurti, les deux pieds sur le sol avec une jambe légèrement fléchie. La même posture se retrouve dans les deux reliefs du Matahgesvara. Muktesvara et Matahgesvara se trouvent à Kâncipuram. Ils pourraient dater de la deuxième moitié du vme siècle ou du début du ix° siècle. Lorsque nous évoquerons maintenant ces temples, nous ne mentionnerons plus leur localisation. 9. Pour la présentation du corpus pallava complet des images de ce thème, voir V. Gillet (2006, p. 213-2 1 7 : à paraître). 434 E. Francis, V. Gillet et Ch. Schmid Mahàbalipuram (relief dit de la Grande Ascèse) et on la retrouve au centre de la face ouest du Kailâsanâtha de Kâncipuram, d'où elle organise l'ensemble du programme iconographique. Le succès de ce thème s'explique, à notre sens, par l'utilisation métaphorique qui en est faite, la descente du fleuve symbolisant celle de la dynastie des Pallava sur la terre 10. Dans la plupart de ces représentations, Siva tend une mèche de ses cheveux sur laquelle descend, mains jointes, une Garigà au corps de nâgï, figurée à une échelle bien inférieure à celle du dieu. La représentation de Kunnattûr s'inscrit donc dans une lignée iconographique pallava bien identifiée. Elle n'en est pas moins singulière. En effet, dans presque toutes les représentations pallava du thème au vme siècle, l'une des mains du dieu se présente juste au-dessous du corps fluvial de la Garigà, en vismayamudrâu. Rien de tel à Kunnattûr, où, d'autre part, Siva esquisse un geste de la connaissance, inattendu dans ce contexte : nous ne le connaissons pour aucune autre Garigàdharamûrtipa/Arra. En outre, si dans l'art rupestrQ pallava, la Garigà descend à la droite de Siva (grottes de Trichy et d'Âdivarâha à Mahàbalipuram) ou à sa gauche (Dharmarâjaratha à Mahàbalipuram), dès lors que la figure de Pârvatï s'introduit dans la scène, dans les temples construits sous Narasimhavarman II, les deux déesses se tiennent toujours à la gauche du dieu, place de l'épouse légitime ou de rang supérieur 12. À Kunnattûr, Pârvatï et Garigà occupent donc l'emplacement des épouses illégitimes ou de rang inférieur, à la droite de Siva. On peut d'ailleurs supposer qu'on trouverait, dans les représentations qui le flanquaient, la justification de la position particulière des déesses sur cette image. Il s'agit en effet d'une stèle de forme régulière, dont l'arrière n'est pas sculpté et qu'on ne peut donc guère replacer ailleurs que sur l'élévation d'un temple construit. À Kunnattûr même, les témoignages matériels qu'on peut associer à la stèle sont maigres cependant. Un linga (avec yoni et socle), d'un style plus tardif, ainsi que quelques pierres taillées gisant aujourd'hui alentour, témoignent de la disparition d'un sanctuaire. À trois cents mètres environ, une écluse aurait été bâtie, aux dires des villageois, à l'aide des pierres d'un temple en ruine 13. Aucun de ces vestiges ne date de la période pallava, mais ils attestent l'existence d'un lieu de culte aujourd'hui disparu, dont la Garigàdharamûrti était peut-être l'une des pièces les plus anciennes. Soulignons encore que le granite gris de cette sculpture est utilisé au vne siècle dans l'art rupestre du site proche de Mahàbalipuram tandis que les temples construits du vme siècle sont en grès. Nous observons donc une disjonction entre l'iconologie et le matériau de cette pièce, sur laquelle nous reviendrons dans la conclusion de cette chronique {infra, p. 472-473).

2008 -- Trésors inédits du pays tamoul : chronique des études pallava II. Vestiges pallava autour de Mahābalipuram et à Taccūr

Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient 93 (2006), p. 430-481., 2008

du KailƗsanƗtha de KƗñcipuram, d'où elle organise l'ensemble du programme iconographique. Le succès de ce thème s'explique, à notre sens, par l'utilisation métaphorique qui en est faite, la descente du fleuve symbolisant celle de la dynastie des Pallava sur la terre 10 . Dans la plupart de ces représentations, Śiva tend une mèche de ses cheveux sur laquelle descend, mains jointes, une GaṅgƗ au corps de nƗgī, figurée à une échelle bien inférieure à celle du dieu. La représentation de Kuṉṉattnjr s'inscrit donc dans une lignée iconographique pallava bien identifiée. Elle n'en est pas moins singulière.

[avec FRANCIS, Emmanuel et GILLET, Valérie], « De loin, de près. Chronique des études pallava III », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient 94, 2007 [2010], p. 253-317.

Dans cette troisième chronique des études pallava, nous nous intéresserons à trois ouvrages parus récemment qui se rapportent, de loin ou de près, à la dynastie des Pallava : Commanditaires & artistes en Inde du Sud de Vincent Lefèvre (2006), Temples de l'Inde méridionale d'Édith Parlier-Renault (2006) et Early Śaivism and the Skandapurāṇa, Sects and Centres de Peter C. . Il ne s'agit pas ici de faire des comptes rendus « classiques » de ces trois livres. Nous nous sommes restreints à certains de leurs aspects, qui apportent un éclairage nouveau sur les Pallava ou qui requièrent la prise en compte d'autres points de vue que ceux exposés par les auteurs.

• “Comment écrire un passé qui ne soit ni colonial ni classique? Le cas du Tuwāt algérien”, in Après l’Orientalisme: l’Orient crée par l’Orient, ed. François Pouillon and Jean-Claude Vatin (Paris: Karthala, 2011).

Les siècles de l'époque moderne occupent une place ingrate dans l'historiographie du Maghreb 1 . Décrié comme temps d'anarchie et de déclin ayant rendu possible la conquête coloniale, cet entre-deux « postclassique » ou « précolonial » est jusqu'à nos jours souvent perçu comme une période de sclérose intellectuelle et culturelle, comme un pâle écho de l'âge classique. Durant la période coloniale nous assistons toutefois à une prolifération d'études et d'enquêtes sur ces « siècles de décadence », dans la mesure où la plupart des institutions de la société maghrébine traditionnelle remontent précisément au Moyen Âge tardif et se sont consolidées durant les XVI e et XVII e siècles. Cette documentation garde une actualité insoupçonnée. Par la richesse des données recueillies sous forme de traductions, d'enquêtes de terrain, de monographies ou de grandes synthèses historiques, la production coloniale demeure un élément décisif dans n'importe quelle bibliographie d'un travail anthropologique ou historique sur cette période. Il est vrai que cette documentation n'est pas égalée en termes de quantité par la production scientifique sur l'histoire du Maghreb moderne après les indépendances. La référence coloniale demeure pour de nombreux sujets la seule référence qui existe. Cependant, la question s'impose de savoir, en particulier au regard de la recherche dans les nouveaux États-nations, pourquoi certains historiens, anthropologues ou sociologues, tout en insistant sur les implications politiques de cette documentation,

« De Bagdad à Damas, Études en mémoire de Dominique Sourdel, Textes rassemblés par Jean-Michel Mouton et Clément Onimus, Hautes Études Orientales 55, Librairie Droz, Genève, 2018, 366 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], Lectures inédites, mis en ligne le 19 mars 2019.

De Bagdad à Damas, Études en mémoire de Dominique Sourdel, Textes rassemblés par Jean-Michel Mouton et Clément Onimus, Hautes Études Orientales 55, Librairie Droz, Genève, 2018 Noëmie Lucas Édition électronique