La théorie des émotions dans l'histoire de la critique littéraire (original) (raw)

« Théories des émotions dans l’histoire de la critique littéraire, XIXe-XXe siècles », actes du colloque « Histoire intellectuelle des émotions, de l’Antiquité à nos jours », Columbia University, Reid Hall, 23-25 mai 2013.

L'un des intérêts de la théorie des émotions est peut-être de nous permettre de dérouler un peu autrement l'histoire critique, en substituant à des logiques de groupes et d'écoles, ou à la rationalité autonome des formes, l'évolution des paradigmes définissant les modes d'action de la littérature, les horizons sensibles de sa réception, comme la relation que le créateur entretient avec son propre espace affectif. Cette critique « vue du côté des émotions » s'articule, sans s'y résumer, à l'histoire sociale des sensibilités : les conditions matérielles de production et de perception des oeuvres interfèrent avec des variations du périmètre de l'espace littéraire et avec des théories esthétiques explicites ou latentes. Les années 1800 constituent un terminus a quo simple et pertinent pour l'histoire de la critique : émerge alors la doctrine romantique, assise sur une relation personnelle à l'art, tandis que décline la critique normative et prescriptive, au profit d'un pluralisme d'analyse fondé sur le dialogue des goûts 1 . Comme l'a montré Anne Vincent-Buffault, les effusions sentimentales du XVIII e siècle, socialisées, maîtrisées, valorisées dans une « circulation sensible 2 » ne survivent qu'au travers du dolorisme chrétien (par exemple chez Ballanche, pour qui « il n'y a de réel que les larmes 3 ») ou sous la forme d'émotions sociales de plus en plus rares et brouillées, et viennent intégrer un espace sensible individualisé et les écritures qui viennent l'enregistrer.