Baudelaire maudit, Drame-spectacle en hommage au poète Charles Baudelaire (1821-1867) (original) (raw)

2013, Anales De Filologia Francesa

Il est temps, capitaine. Appareillons! Levons l'ancre! La lumière nocturne dessine les silhouettes des figurants encapuchonnés, qui montent sur scène des deux côtés de la salle tandis que, faibles, lentes, majestueuses, nous parviennent les mesu res du «Tanhausser» de Wagner. Notre saisissement se baigne de spiritualité. La Muse du poète descend des cintres. Elle avance jusqu'au milieu de l'espace scénique, portant, tel un Livre sacré, LES FLEURS DU MAL. La musique se tait. Silence. La Muse soulève le livre et trace un Tau dans l'espace. Ses larges manches se plient jusqu 'aux épaules et dévoilent ses bras blancs où s'enrou lent des serpents. Le livre laisse voir dis tincte ment son titre. voix des Censeurs, en un murmure presque inintelligible, le livre toujours levé.-Anathema sit. Haereticus iste. Dans les flammes. Au feu ces pages obscènes. Deshonneur de nos traditions. Consummatur liber... Coup de timbale qui fait taire les voix. Sur le côté droit de l'avant-scène, la Muse avance vers le lutrin, bran dissant le livre, sous l'ac com pagnement de l'orgue. Elle le pose lente ment. Sur le rideau du fond nous pouvons admirer le portrait du poète peint par Courbet (plume, livre, pipe), auquel se superpose, en fondu, la mer. La Muse récite, les paumes tendues vers le ciel. la muse.-Au commencement fut le Néant, et, dans le Néant, le Bien n'existait pas, et, dans le Néant, le Mal n'exis tait pas. Vint ensuite l'Esprit et multiplia le plaisir des Sens. Et dans les Sens il n'existait pas de Bien, et dans les Sens il n'existait pas de Mal. Car le Mal n'était pas dehors. Il était à l'intérieur. Dans le désir dédoublé en serpent et en volonté. La Muse cesse de lire. Elle regarde l'espace infini. Tel est l'antique secret des siècles. écris-le, Poète, premier de ton lignage à qui je confie la fatidique mission de chercher la Beauté du Mal mêlée à la Beauté du Bien, et de vivre la mystique du Gouffre. Elle pose le Livre après sa récitation, l'embrasse et commence à se défaire lentement de ses vêtements tandis que les voix censoriales reprennent. Claquements de fouet qui, cette fois-ci, ne parviennent pas à les faire taire. La lumière s'affaiblit jusqu'à l'obscurité initiale. Les figurants éclatent en litanies que les Voix des Censeurs essayent de couvrir. Les rideaux commen cent à se fermer. voix des figurants.-Il est temps, capitaine. Appareillons! Levons l'ancre.-Faisons le voyage du rêve et du Néant.-écris ta chronique, le temps est court.