L’humour passe à table (original) (raw)
Et chacun de ces auteurs a un rapport avec la question de la nourriture, et un rapport amusé, humoristique souvent, à cette réalité culturelle. Mais avant d'entrer en matière et de passer aux nourritures chez l'un et l'autre de ces deux auteurs, j'aimerais, de façon un peu plus générale, poser la question du genre littéraire. Je vais commencer avec deux livres, Cul-in-air de Manganaro et Mother, de Luc Lang : la question du genre se pose pour ces deux livres. Cul-in-air est d'une part un livre de recettes, un livre qui n'a en principe rien de fictif : il n'y a rien de moins fictif qu'un livre de recettes. Un livre de recettes, ça sert à passer tout de suite du texte, de façon transparente, vers l'objet cuisiné dont il indique la flèche. Donc ça a l'air de, c'est un livre de recettes, un livre transitif, mais en même temps, ça n'a pas du tout l'air d'un livre de recettes : lorsqu'on lit, c'est factuel, il y a des recettes, mais en même temps, c'est autre chose, ça paraît chez P.O.L., un éditeur littéraire, alors c'est quoi le genre de Cul-in-air ? Jean-Luc Manganaro : C'est un livre tous genres : comme il y a un faitout, Cul in air est un livre tous genres, et surtout c'est sans genre. Je joue beaucoup avec la syntaxe, la grammaire, les adjectifs, c'est un roman très discontinu, peut-être dans la lignée de Boccace, c'est une série de situations culinaires dans le double sens du mot, c'est un livre polisson, ce n'est pas un livre sexuel, c'est plutôt sensuel mais pas sexuel. Bon, il y a aussi des situations qui ponctuent à peu près cent cinquante recettes, dont la plupart sont originales, dans le sens où je les ai faites, je les ai réalisées. Mais je voulais aussi chercher deux chemins qui sont différents : d'une part enlever cette maestria que les hommes s'arrogent dans la cuisine, comme un fait tout à fait antidémocratique, et donc au fond proposer une cuisine qui serait extrêmement démocratique dans ses achats, dans ses emplettes, dans ses produits, et surtout la recomposition constante, jour après jour, de ce que j'appelle le reste, le résidu. Comment traiter le résidu, le reste, tout ce qui reste, pour ne pas gaspiller la nourriture. Donc il y a des tas de solutions où effectivement l'art d'accommoder est finalement plus important que l'art de faire, même si ça marche ensemble. Mais L'humour passe à table Elfe XX-XXI, 7 | 2019