"Etre orphelin au XVIIIe siècle : vie familiale et pérégrinations d’après quelques récits de vie." (original) (raw)

L'orphelin de la famille: le pardigme de l'enfant / manuscrit trouvé dans le roman français du XVIIIe siècle

in Eighteenth-Century Fiction 16 (2005), special issue “Les genres littéraires et la famille”, p.311-329., 2005

Cet article étudie la résurgence de deux types de romans familiaux dans le roman du 18e siècle, français et anglais: l'un remonte à Aristote, l'autre à Platon. Pour l'auteur de la Poétique, les deux principaux effets que doit produire le spectacle dramatique sont la frayeur et la pitié. Ceux-ci s’induisent le mieux d’événements conflictuels situés au sein du cadre de la famille. L’intrigue qui se trouve au centre de cette scène familiale doit s’organiser autour de trois concepts-clefs: la reconnaissance, la péripétie et l’effet violent. Le second roman familial se trouve chez Platon. Le dialogue Phèdre contient une fable où l’écriture est le produit d’un Dieu, « père de l’écriture », son inventeur. En même temps, le texte écrit est comme un fils, abandonné, du scripteur qui en est le « père ». Une fois écrit, le texte devient comme un enfant abandonné, dont le sort est incertain. Les deux romans familiaux - d’Aristote et de Platon - qui se trouvent à la base de la littérature et de la critique littéraire occidentales se rapportent l’un et l’autre au problème fondamental de la “reconnaissance”, articulé sur un double plan du fond (par Aristote) et de la forme (par Platon). Dans le roman familial platonicien, la « reconnaissance » se traduit comme la prise en charge par un lecteur d’un texte écrit, abandonné par son scripteur. Ou en termes métaphoriques : le roman familial platonicien met en scène un père adoptif-lecteur adoptant un enfant-écriture abandonné par son père-scripteur.

La mort au tournant: enterrements, tombeaux et escales fatales dans l’inventaire du récit de voyage au XVIIIe siècle

Convergences francophones 6.2, 2020

Dans le troisième tome des Voyages du Père Labat en Espagne et en Italie, le prêtre dominicain Jean-Baptiste Labat écrit : « Il faut à présent achever de décrire un enterrement tout entier » (III, 384). 1 La nonchalance avec laquelle le père Labat livre cette phrase tout en soulignant la nécessité de la description à venir attire l'attention. En effet, cette phrase renvoie à la nécessité de satisfaire un objectif s'inscrivant visiblement dans l'horizon d'attente de son récit mais témoigne aussi d'un rapport à la mort qui n'est plus celui que nous connaissons dans le monde occidental aujourd'hui. Dans ses travaux sur les attitudes occidentales devant la mort, l'historien Philippe Ariès a ainsi montré quatre phases se succédant dans la diachronie. A la résignation devant une mort inévitable, familière et inscrite dans le destin de l'humanité, succèdent une vision plus personnelle de la mort et la prise de conscience de la mort de l'autre après celle de soi. Pour l'historien, l'émergence du regret et du souvenir de l'autre au XVIIIe siècle sont à la source du culte des tombeaux et des cimetières qui fleurira ensuite au XIXe siècle. Quant à la période contemporaine, elle se caractérise selon lui par un rejet de la mort, une mise à distance. Les voyageurs du XVIIIe siècle se situent donc à un moment charnière dans l'appréciation et la représentation de la mort. Et le récit de voyage à cette époque semble constituer un des lieux où l'on peut observer une des étapes du changement qui s'est opéré dans la perception occidentale de la mort. Mais pas seulement. Ainsi que nous l'évoquerons plus loin, ce genre participe activement à l'émergence de la nouvelle attitude face à la mort à la fin du XVIIIe siècle.

"Devoir ce sujet à mes enfants" : les écrits privés d’un bourgeois de la terre à la fin du XVIIIe siècle

2013

Les papiers de l’avocat Toulousain, Jean-François Ayral (1768-1826) sont d’une extrême diversité tant dans leur forme que par leur contenu. Il n’a pas laissé de trace de son activité professionnelle, en revanche l’écriture domestique prend la forme de carnets ou de feuilles volantes, de lettres ou de comptes, de copies ou de brouillons. Les « Règles » d’Ayral déclinent en de multiples rubriques le détail de l’écriture privée et des principes pratiques et moraux. Par ailleurs, ce bourgeois-propriétaire terrien a produit de nombreux manuscrits dont le style est soit versifié, avec des poèmes et des chansons, soit académique, en rédigeant des notices pour une société d’agriculture.

Le parcours sinueux des "heureux orphelins" ou la mise en récit de l’identité nationale

in : Studi Francesi (2012) vol 56, p.33-46, 2012

Quand en 1754 Crébillon-fils reprend la plume de romancier, après un silence de plusieurs années, c’est d’un roman anglais qu’il s’inspire. En adoptant comme source The Fortunate Foundlings publié par Eliza Haywood en 1744 , l’auteur refaçonne et développe l’intrigue libertine qui ne constituait qu’une section infime dans l’original anglais. Quant à la trame de Haywood, c’est essentiellement un roman familial, abandonné après trois chapitres par le romancier français, qui cependant garde le décor anglais. Si, avec Les Heureux Orphelins, Crébillon se ressaisit du roman libertin, c’est dans une diégèse anglaise que le projet de séduction est cette fois-ci resitué. L’autonomie soudaine qu’acquiert son récit dès la seconde partie du roman ne semble pas seulement dictée par l’inversion d’une intrigue d’importance secondaire en intrigue principale. Parallèlement à la remodélisation de la structure romanesque, Crébillon (ré-)investit l’intrigue d’une argumentation particulière, qui est celle de l’identité nationale. Si l’original portait déjà en germe l’argument national, l’auteur français le développe sous le mode libertin. Lorsque quelques années plus tard, le roman est réimporté en Angleterre par Edward Kimber sous le titre The Happy Orphans (1759) , il se voit certes sujet à d'importantes modifications, mais l’histoire s’articule de nouveau sur le modèle du roman familial et un discours sur les Nations y est de nouveau projeté. Ce discours sur les stéréotypes nationaux est à la fois très proche et très différent de l’original de Haywood. Dans cet article, on fait en grande partie abstraction du texte de Crébillon, pour se concentrer sur les parallèles fascinants entre le terminus a quo et le terminus ad quem de ce petit cycle romanesque.

Le récit génétique au XVIIIe siècle

2009

La construction du récit en tant que vérité est l’ambition essentielle du roman du dix-huitième siècle. Mais dans quelle mesure les mots sur la page cachent-ils ou, au contraire, révèlent-ils la genèse de l’histoire qu’ils prétendent représenter? Telle est la question que J.Herman aborde en regardant sous la surface du récit pour explorer les traces de ses origines. Faisant appel à des théories de l’écriture allant de Platon à Derrida et à Genette, J.Herman offre une façon entièrement neuve de lire les romans-mémoires. Il montre comment les textes utilisant cette forme narrative réactivent des questions sur les rapports de l’écriture avec la vérité et avec la mémoire. Se concentrant sur le motif récurrent de l’enfant trouvé, sollicité à la fois en tant que thème et en tant que métaphore pour le texte lui-même, J.Herman explore la manière dont les romans utilisent cette figure pour représenter leur propre quête de légitimité et de reconnaissance. Après une exposition fouillée de ses concepts théoriques, l’auteur apporte une analyse systématique de plusieurs romans d’importance majeure dus à des écrivains allant de Marivaux et de Prévost à Laclos et à Potocki, à travers laquelle il offre une nouvelle méthode de déchiffrement rhétorique du roman au dix-huitième siècle.

Arlette Farge, Vies oubliées. Au coeur du XVIIIe siecle. Paris, La Découverte, 2019.

2019

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