« La « Tradition » comme notion et comme principe dans le judaïsme rabbinique », M. Vartejanu, Herméneutique et bricolage. Territoire et frontières de la Tradition dans le judaïsme, Berne, Peter Lang, 2008, p. 97-112. (original) (raw)

L'étymologie du terme masoret, que l'on rend habituellement par « tradition », montre que les usages de Hazal, la langue rabbinique, attribuent à ce terme des acceptions très tranchées. Si l'on part de la racine masor, il s'agit, selon la formulation du traité Babba Qamma 1 de « livrer » au sens trivial d'une trahison : lorsque des Juifs « livrent » d'autres juifs aux mains des Romains, ou encore lorsque des informations sont ainsi « délivrées » à mauvais escient 2 . Ce même sens est également à privilégier lorsqu'il s'agit, dans le traité palestinien Sota, d'interdire l'étude du grec en raison des informateurs 3 : la familiarité avec cette langue pouvant ainsi susciter une inclination fâcheuse à « livrer » -au sens de trahirles siens 4 . Mais si l'on part en revanche de la racine masar, qui la décline sous la formulation « nous détenons une tradition de nos pères » 5 ; ou plus explicitement encore dans la Michna Avot, qui stipule que la « tradition du Sinaï est une barrière de protection » 6 -au sens où elle est destinée à protéger l'intégrité de la Torah -on comprend alors que l'acception est tout autre. Le terme « tradition » utilisé dans les langues latines, issu du traditio latin, lui-même dérivé de tradere, faire passer à un autre, livrer, remettre, et par extension transmettre, comporte également cette tonalité ambivalente. Cette trame philologique peut ainsi orienter directement vers les approches de la sociologie et de l'anthropologie, qui rappellent qu'il ne saurait exister de tradition sans que ne se produisent des inventions et des re-créations qui lui insufflent présence et vie dans les cultures où la transmission de la tradition est valorisée.