« Hélas ! » d’Antiochus : l’émergence d’une relation esthétique (original) (raw)

expériences, transmission » (LITEXTRA) « Hélas ! » cette célèbre interjection qui clôt Bérénice de Racine apparait comme l'expression de l'« intensité d'[une] déploration ultime » (Tamas 2018 : 81), « expression du cheminement solitaire des êtres pris dans des désirs et des passions qui ne peuvent être partagés » (Ibid.) ; il permet aussi de reconnaitre Antiochus comme appartenant à « cette communauté des coeurs sacrifiés » (Ibid. : 198). De ce soupir est né, dès le XVII e siècle, une querelle littéraire, querelle qui perdure aujourd'hui, même si cette dispute peut sembler très éloignée des débats des salles de classe. Même s'il s'agit de constats et d'analyses plus récurrents que récents, certains chercheurs comme J. Campbell estiment qu'enseigner Racine est devenu une mission impossible : « Racine has been exiled to a distant steppe visited only by the adventurous, or by "good" pupils more often than not in "good" schools » (1999 : 24). À sa suite, C. Machefer (2011) considère Racine comme « un auteur élitiste » : pour elle, les difficultés poétiques, langagières, dramaturgiques et culturelles de ses pièces constituent autant d'obstacles à la lecture pour les collégiens et les lycéens qui, dès lors, les rejettent et sont dans l'incapacité de tisser aucune relation esthétique avec elles. À rebours de ces analyses, l'objet de notre présente étude est de montrer comment, à partir d'un dispositif de lecture développant une lecture empathique d'une tragédie racinienne, une relation esthétique peut se mettre en place dans une classe de la banlieue lyonnaise. En effet, elle est « constitutive de la lecture des textes littéraires » selon C. Gabathuler (2016 : 13) qui appelle à faire de celle-ci un « objet d'enseignement à part entière » (Ibid. : 223). C'est dans sa continuité que nous nous plaçons aujourd'hui. Après avoir présenté notre cadre théorique, nous souhaitons observer, dans une approche longitudinale, comme celle-ci peut émerger dans une dialectique du singulier et du collectif. rticle on line rticle on line Le Français aujourd'hui n°210, « Approche analytiques des textes littéraires » Les cadres théoriques de l'étude La relation esthétique : une construction sociale Selon C. Gabathuler, la relation esthétique « se tisse, se construit entre un lecteur et l'oeuvre littéraire » (Ibid. : 223). Elle prend naissance dans l'intimité, mais, en classe, elle se coconstruit dans les interactions intersubjectives puisqu'elle est, selon elle, « avant tout éminemment sociale » (Ibid. : 223). En effet, à l'origine, l'individu émet une appréciation, définie à la suite de J.-M. Schaeffer comme un « état intentionnel » ou une évaluation qui se fait « à l'aune de valeurs propres à la communauté d'individus à laquelle l'élève appartient » (Ibid. : 54). Dans les interactions avec les pairs, les évaluations deviennent jugements, bases de la relation esthétique selon C. Gabathuler. Ils peuvent être de trois ordres : le jugement émotionnel (qui porte sur les effets psychoaffectifs produits sur le lecteur), le jugement éthique (qui porte sur le contenu) et le jugement esthétique (qui porte sur la forme de l'oeuvre). Une dialectique du singulier et du collectif 1. Dans cette classe, il y a six « cercles de personnage » : deux associés à Antiochus, deux associés à Bérénice et deux associés à Titus. Chacun est composé de cinq ou six élèves.