Hélène Tallon, 2014. D’une marge à l’autre, regard sur la pluriactivité dans les espaces ruraux. In XIVe Journées Internationales de Sociologie du Travail, Lille 17-19 juin, 18 p. (original) (raw)

Si dans les années 70/80 de nombreux espaces ruraux enclavés et peu aptes à entrer dans le nouveau jeu de la compétitivité territoriale ont pu être considérés par les services de l’État comme des zones en déshérence dont il fallait définir de nouvelles vocations, c’est que les activités de leurs populations suscitaient au mieux l’indifférence, au pire la méfiance. La pluriactivité, cet ordinaire séculaire des espaces ruraux, ne cessera d’être marginalisée par la société moderne, alors même qu’elle se maintiendra fermement dans le secteur agricole et progressera même significativement ces dernières décennies dans les autres secteurs d’activité, parallèlement au mouvement de revitalisation des zones rurales. Or la pluriactivité reste une activité dans l’ombre, se nourrissant de bricolages du quotidien et d’un agencement subtil de ressources individuelles et collectives. Les politiques publiques à son égard sont ambigües et contradictoires. Nos travaux menés en Languedoc-Roussillon de 2008 à 2011 auprès de pluriactifs, agriculteurs ou non et pour la plupart « néo-ruraux », et depuis octobre 2013 dans les Hautes Alpes auprès de pluriactifs membres d’une coopérative d’activité, font ressortir une double difficulté : celle pour les pluriactifs de se définir dans une sphère professionnelle donnée, et la nécessité pour cela de choisir une activité de référence, l’arbitrage nécessaire étant alors tout sauf neutre, et celle pour les organismes de soutien à l’activité économique d’élaborer des politiques cohérentes face aux multiples formes et enjeux de la pluriactivité. La pluriactivité est en effet plus qu’une simple stratégie d’adaptation à un contexte contraignant. Les pluriactifs que nous avons rencontrés font état de leur rapport existentiel au territoire, de l’impératif de sens et de lien placé au cœur de leur travail, et de leur distance aux stratégies classiques de développement et d’accumulation, qui se traduisent par des conduites d’activité très éloignées des modèles normés du travail et de l’entreprise. La contrepartie pouvant être le recours au travail informel ou une précarité elle-même à interroger en tant que telle. Ces résultats nous amènent à questionner directement les politiques territoriales de l’emploi et de l’activité, et les marges dont disposent les dispositifs institutionnels pour prendre en compte les signaux faibles contenus dans ces pratiques qui font évoluer à bas bruit nos modèles de travail.