Le noyau dur de la théorie sociale de Marx : du fétichisme et de ses conséquences (original) (raw)
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Fétichisme de la marchandise et ontologie sociale chez Marx
Cahiers d'économie Politique, 2016
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Marx et le fétichisme - De la critique de la religion à la critique de l'économie politique
Écrit par Artous (Antoine) « À la place de l'exploitation voilée par les illusions religieuses et politiques, (la bourgeoisie) a mis l'exploitation ouverte, éhontée, directe dans toute sa sécheresse. (…) Tout ce qui était solide, bien établi, se volatilise, tout ce qui était sacré, se trouve profané et, à la fin, les hommes sont forcés de considérer d'un oeil détrompé la place qu'ils tiennent dans la vie, et de leurs rapports mutuels », proclame Le Manifeste communiste (Marx, 1963, p. 164).
Cohérente ou contradictoire, implicite ou déclarée, normative ou critique, tout auteur dédié à la recherche en sciences sociales charrie inévitablement une certaine vision de la dimension politique de la société. Cela veut dire que toute description du monde social comprend – à tout le moins in nuce – des éléments d'une conception sur la manière d'être en communauté et donc sur la nature du politique. C'est ce qui permet d'avancer que, même de façon non systématisée, il y a une pensée politique organique présupposée à l'intérieur de la théorie sociale de Marx. Cela n'est point une idée originale. Mais au lieu de chercher, comme d'habitude, des éléments dispersés d'une théorie politique dans le corpus marxien et d’essayer de les relier, il apparaît que l'investigation arrive à des résultats plus révélateurs si l'on observe en premier lieu la direction générale du projet critique de Marx. Cet article propose ainsi une clef catégoriale pour comprendre la pensée de Marx sur l’État et la politique en partant de l’identification de ce que l’on pourrait nommer le noyau dur de sa théorie sociale – c’est-à-dire la question qui, sous différentes formes, a animé sa réflexion au long des différentes phases de son travail intellectuel. Cette approche, on aura l’occasion de le voir, dépend de la justesse de l’idée selon laquelle il y aurait un sens unitaire dans la critique sociale formulée par Marx. Puisqu’il ne s’agit nullement d’interpréter les silences de l’auteur, mais plutôt de prendre en compte ce qu’il a effectivement écrit, ce cheminement demande, encore une fois, un bref réexamen des concepts fondamentaux agissant dans l’œuvre de Marx. Ce faisant, il sera possible de voir que le concept d’aliénation, aussi bien que ceux de fétichisme et de valeur, jouent un rôle majeur dans la critique de Marx envers l’État capitaliste.
de Mémoire de Master II Il est important de souligner clairement l'option que nous avons choisie quant à la manière de lire Marx à travers Hamlet et Faust. Notre analyse vise à une recherche des liaisons possibles, des affinités électives -dans une optique synthétique -entre les textes marxiens et ceux de Shakespeare et de Goethe afin de penser l'oeuvre marxienne comme forme littéraire qui sauvegarde plusieurs images, métaphores et motifs de l'histoire de la littérature. 2 Autrement dit, pour nous, la littérature comme manière de penser pose à travers un point de vue concret les mêmes questions que la philosophie et la science. Notre question principale concerne les possibilités d'une nouvelle réflexion sur le fétichisme, tel qu'il est analysé par Marx. Cette réflexion concerne le potentiel d'une approche théorique qui s'initie simultanément du côté de la philosophie et du côté de la littérature. De plus, étant donné que nous nous intéressons aux liaisons du fétichisme et d'un certain concept d'histoire, nous prenons en compte ce que Marx décrit comme une « analogie religieuse », analogie qui est nécessaire afin de comprendre la problématique et la méthodologie d'analyse du phénomène fétichiste. Cette analogie nous permet de réfléchir sur les relations fantasmagoriques dans le monde de la production marchande. 3 A travers une approche de la fantasmagorie, on pourrait en-exemple, dans l'oeuvre Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, le communisme est désigné comme un « spectre rouge ». 8 En conséquence, notre lecture essaye de redéfinir ce qu'est le fétichisme à travers l'examen de l'imagination, de l'image spectrale et de la fantasmagorie. Etant donné que ces images sont les produits d'une tradition littéraire -Goethe par exemple s'est intéressé à l'imagination et à la fantasmagorie et Shakespeare a mis essentiellement dans l'action dramaturgique d'Hamlet un spectre -, nous devrions étudier ces images, en comparant leurs caractéristiques dans l'oeuvre marxienne et dans celles de Shakespeare et de Goethe. Dans cette perspective, le premier chapitre introduit la discussion diachronique relativement au concept du fétichisme afin de pouvoir examiner dans les second et troisième chapitres les affinités de la pensée de la littérature avec celle qui est développée dans le cadre de la critique de l'idéologie et de l'économie politique. Plus précisément, dans le second chapitre, nous essayons d'étudier le Manifeste du parti communiste à travers Hamlet de Shakespeare afin de penser la signification du spectre et du temps de l'histoire et, dans le troisième chapitre, nous étudions la seconde partie de la tragédie de Faust, où on trouve l'implication de la fantasmagorie, mais aussi de la magie de la monnaie. L'analyse marxienne du fétichisme a été traitée par les marxistes comme une partie énigmatique et un retour à l'idéalisme d'Hegel. 9 Exceptionnellement, on pourrait trouver dans les ouvrages des marxistes hétérodoxes, par exemple de Lukacs, de Rubin ou de Benjamin, de premiers essais d'une 7 MARX Karl, Der achtzehnte Brumaire des Louis Bonaparte (MEW Band. 8), 117, 132, 137, 174, 189. 8 Op. Cit., 137. 9 CHANSON Vincent, CUKIER Alexis, et MONFERRAND Frédéric, La Réification. Histoire et actualité d'un concept critique (Paris : La dispute, 2014), 72 ; ARTOUS Antoine, Marx et le fétichisme. Le marxisme comme théorie critique (Paris: Editions Syllepse, 2006), 22.
Le fétichisme de la marchandise chez Marx, entre religion, philosophie et économie politique
Marx 2000, dir. Stathis Kouvélakis, PUF, 2000
La notion de fétichisme chez Marx est souvent considérée comme l'un de ces concepts qui sont capables de résumer une oeuvre et qui présentent la définition assurée d'un résultat atteint au terme de la recherche. En l'occurrence, le fétichisme de la marchandise, principalement étudié dans le Capital, serait en quelque sorte la notion éponyme de la critique de l'économie politique, telle que Marx l'accomplit dans le cadre de son étude de la production et de l'échange capitaliste. Pourtant, le "fétichisme" apparaît tôt sous sa plume, puisqu'on en rencontre la première occurrence dans les Manuscrits de 1844, et que le terme de "fétiche" est utilisé dans un article de la Gazette Rhénane de 1842. En outre, cette notion est et demeure marquée par une équivocité profonde, dont Marx ne semble pas vouloir se débarrasser, mais dont, au contraire, il ne cesse de jouer. On s'efforcera de le montrer, le fétichisme se situe à l'intersection de la théorie des religions, de la philosophie de la représentation et de la critique de l'économie politique. Marx ne procède pas à l'unification théorique de ces différents terrains mais à leur mise en relation permanente et dynamique. En ce sens, le fétichisme est à la fois une métaphore et un concept, un concept en situation de perpétuel inachèvement, qui donne accès à la façon dont Marx mène de front la construction d'une autre économie politique, une critique continuée de la tradition philosophique, en même temps que l'élaboration de concepts originaux qui synthétisent les acquis positifs de l'analyse. On distinguera schématiquement quelques axes autour desquels gravite la notion de fétichisme, et qui constituent autant de directions de recherche explorées successsivement ou simultanément par Marx. Partant de l'analyse feuerbachienne des représentations religieuses, Marx en propose très vite une réélaboration qui est aussi une complexification. Le mérite de Feuerbach, à ses yeux, est d'avoir étudié la religion sous l'angle du double phénomène d'aliénation et de projection qui rend l'homme étranger à son essence. Mais le rapport univoque de projection illusionante que définit Feuerbach lui semble vite inapte à prendre en compte les effets en retour et la fonction propre des représentations sur l'ensemble de la réalité dont elles émanent. La critique feuerbachienne de la religion est en ce sens impuissante à fonder un matérialisme de la représentation, qui doit élargir à la totalité économique et sociale son champ d'investigation. L'intuition première de Marx, à cet égard, consiste sans doute dans la comparaison suivie entre la formation des représentations religieuses et la représentation monétaire de la valeur. Ce rapprochement analogique, que cristallise la notion de fétichisme, ne disparaîtra plus de son oeuvre. Qu'il s'agisse du monde religieux ou du monde marchand, le fétichisme désigne dans un premier temps pour Marx un stade archaïque, qui est celui de la substantification et de la fixation matérielle de représentations collectivement élaborées, représentations qui produisent en retour un effet structurant sur l'organisation de la production et des échanges, au sens large : "les nations qui sont encore aveuglées par l'éclat sensible des métaux précieux et qui sont donc encore des fétichistes de l'argent-métal-ne sont pas encore les nations d'argent achevées"(1). L'affirmation d'un archaïsme foncier de la relation fétichiste sera ultérieurement corrigée par Marx, qui maintiendra par ailleurs et développera l'idée d'une fonctionnalité propre aux représentations, dans le cadre d'une circulation sociale généralisée et qui concerne aussi bien les marchandises que les idées. Les Manuscrits de 1844 le formulent de façon lapidaire : "la logique, c'est l'argent de l'esprit"(2). La représentation théorique et la représentation monétaire ont alors en commun d'être des médiations dynamiques de la totalité sociale, tout en menaçant sans cesse de figer l'activité et de bloquer le regard sur ces moyens termes fascinants qu'elles offrent à la volonté de connaissance et d'appropriation. C'est à ce niveau plus général, qui est celui d'une dialectique de la représentation que la notion de fétichisme se trouve progressivement constituée par Marx en un concept critique majeur, et peu à peu débarrassée de ce qui l'enfermait initialement dans une théorie des religions directement héritée des Lumières.
Marx en 2018 : une pensée stratégique encore féconde
Colloque "Penser avec et après Marx", Groupe Vaudois de Philosophie, Lausanne, 4-6 mai 2018
Marx en 2018 : une pensée stratégique encore féconde (Penser avec et après Marx, 4-6 mai 2018, Groupe Vaudois de Philosophie, Lausanne, Maison de Quartier Sous Gare) À l'heure de ce 200 e anniversaire, on peut, sans trop de risque d'être contredit, affirmer que la crise aggravée du capitalisme dans sa phase néolibérale s'ajoute à la crise des alternatives. Du côté du capitalisme, nous vivons tous les jours les contre-réformes violentes qui détricotent à vive allure ce que des décennies de luttes sociales avaient conquis. S'y ajoute la crise climatique, qui est aussi une crise sociale, la multiplication des conflits armés, la montée de toutes les formes de répression et de régression, sur fond d'explosion des inégalités, à l'échelle de la planète. Les perspectives qui se dessinent sont proprement effarantes. Du côté des alternatives, la crise est également profonde et elle est indissociable de toute l'histoire du mouvement ouvrier et du marxisme. Un double échec tient les alternatives entre les mâchoires d'une même tenaille : d'un côté, démission voire effondrement de la social-démocratie, ralliée au néolibéralisme à quelques exceptions près, de l'autre, échec du socialisme dit « réel », disparu en même temps que l'Union soviétique et le Mur de Berlin. Pourtant, les luttes sociales n'ont pas disparu, la solidarité avec les réfugiés se manifeste, les coopératives, les grèves et les occupations continuent d'exister, Sanders et Corbyn tentent de redonner vie à l'idée socialiste. On doit aussi constater un regain d'intérêt pour Marx du côté des jeunes générations, même s'il n'est pas massif. Il n'en demeure pas moins, qu'au total, la contestation montante ne fait pas le poids et manque de perspective collective. Dans ces conditions, nous sommes face à une alternative en miette, qui semble d'autant plus inaccessible qu'il nous manque à la fois un projet d'ensemble mobilisateur, mais aussi des forces politiques et sociales puissantes et en mesure de combattre les reculs en cours. Ce tableau est connu : la question est de savoir en quoi Marx nous est nécessaire pour penser ce désastre et surtout pour en sortir ? Deux raisons rendent le recours à Marx plus précieux que jamais, sachant que recourir à Marx ne veut surtout pas dire le répéter ou y chercher des solutions directement applicables et transposables. 1/ La première raison concerne le diagnostic lui-même : le propre de Marx n'est pas seulement de proposer une vision globale d'un capitalisme lui-même global. Même certains analystes libéraux reconnaissent la force de sa description, en particulier depuis la crise dite des subprimes de 2008. Mais Marx propose avant tout une analyse des contradictions économiques et sociales qui en permanence structurent et déstructurent ce mode de production capitaliste, qui le constituent et qui le mettent en crise, inévitablement, même si ces crises ne conduiront pas d'elles-mêmes à sa disparition. Il n'en demeure pas moins que le capitalisme n'est pas la fin de l'histoire. De ce point de vue, son analyse, qui combine les dimensions économiques, sociales et politiques, reste sans équivalent, même s'il faut sans