Abel Gance, cinéaste à l’œuvre cicatricielle (original) (raw)
De tous les cinéastes ayant vécu la période du premier conflit mondial, Abel Gance est le seul, à notre connaissance, dont l'oeuvre se trouve autant marquée par ce drame qui n'a jamais cessé de le hanter. La guerre, qu'il n'a pourtant pas faite (sur le moment, il a éprouvé un important sentiment de culpabilité, qui se mua en soulagement par la suite), a été pour lui une expérience à la fois traumatisante et stimulante. Elle ne fut pas seulement une source d'inspiration pour son imagination débordante, mais un choc moral qui suscita de puissantes émotions créatrices et une véritable esthétique eschatologique unique en son genre. Gance a cru, comme la majorité de ses contemporains, à cette force mystique de la terrible conflagration qui laissera en lui, à tout jamais, une profonde cicatrice 1. À ce titre, l'amitié avec Blaise Cendrars, qui fut parmi les tout premiers à parler de l'effroyable brutalité du combat 2 , et plus tard avec Louis Ferdinand Céline, dont il envisagea d'adapter Voyage au bout de la nuit 3 , joua sans doute un rôle non négligeable. 2 On sait depuis longtemps que les processus d'élaboration artistique, quels qu'ils soient, renvoient à l'environnement socioculturel dans lequel ils ont été conçus. En ce sens, les créations ne sont pas isolées, coupées des réalités de leur temps. Bien au contraire, elles s'en nourrissent. Par conséquent, les séparer de leur contexte revient presque toujours à en brouiller l'exacte compréhension. Au lendemain de l'armistice, Dominique Braga, dans les colonnes du journal Le Crapouillot, partant justement du constat que l'art est toujours le produit d'une histoire, d'un moment, s'interrogeait sur les modifications que les événements récents allaient lui faire subir : Tout ceci changera puisque notre époque change. Un romantisme créateur et imprécis parcourt les masses fécondes d'Europe. Il se révèle au hasard des peuples en gestation par ces impulsions d'instinct où se devine une espérance qui se cherche. Il ne peut pas ne pas passer dans les esprits et se manifester dans l'art. Le bouleversement social lancera sur la surface du continent des créations spontanées qui exprimeront sa volonté nouvelle. Et l'art renaîtra de là. Il sera dans ceux qui sortiront de la mêlée avec la souffrance et l'inquiétude plein leurs entrailles. Il sera dans ceux qui s'intégreront à l'angoisse des jours pour en crier tout le désir. 4