Plantes toxiques et humeurs peccantes: la pensée du poison dans l'œuvre de Hildegarde (original) (raw)

Plantes toxiques et humeurs peccantes : la pensée du poison chez Hildegarde de Bingen

dans Le corps à l’épreuve. Poisons, remèdes et chirurgie : aspects des pratiques médicales dans l’Antiquité et au Moyen Âge, études réunies par F. Collard et E. Samama, Langres, Dominique Guéniot, 2002, p. 71-101., 2002

.Hildegard of Bingen's naturalistic work consists today of two different texts, on one hand Liber subtilitatum diversarum naturarum creaturarum alias Physica, and on the other hand Cause and cure. In these two treatises, the semantic field of the venenum forms a kind of red thread: not only Hildegarde gives a big importance to the notion of venenum in her Weltanschauung, but she also shows a big familiarity with the multiform reality of poisons of her time, and such a knowledge can be explained by readings as well as by experience : as a matter of fact, the monastic spheres of the XIIth century were not totally shielded from the temptation of poison. This paper examines here alternately the theoretical part played by the venenum in the abbess' conception of the world, and then the place which poison occupies in the medical practice recommended by her two medical treatises.

"Hildegarde de Bingen, les plantes médicinales et le jugement de la postérité : pour une mise en perspective"

Scientiarum Historia, 20, 1994, 1-2, p. 61-75.

Les écrits médicaux de Hildegarde de Bingen (†1179) sont aujourd'hui l'objet d'une attention redoublée, de la part des chercheurs comme de celle du grand public, de plus en plus nombreux, dans différents pays, à les redécouvrir avec enthousiasme et à adapter aux maux de notre temps ces préceptes et remèdes du Moyen Age. Ce phénomène de réappropriation, unique par ses proportions, est en soi déjà assez intéressant pour qu'on s'y arrête. Mais le formidable écho que la médecine de Hildegarde rencontre actuellement ne doit pas faire oublier que des interrogations demeurent, par exemple : l'œuvre médicale qu'on lui attribue aujourd'hui se présentait-elle de cette manière à l'origine ? Certains chapitres ou notices particulièrement novateurs pour le XIIe siècle n'ont-ils pas pu être ajoutés plus tard par quelque continuateur ? En d'autres termes : la médecine de Hildegarde, dont notre fin de siècle se montre friande, est-elle bien de son temps ? C'est ce qu'on examinera, en évoquant entre autres la question des sources d'inspiration probables de ces écrits médicaux, en les comparant avec d'autres traités contemporains, et en retraçant l'histoire des manuscrits qui nous les ont transmis.

Baudelaire et la « haine du vegetal »

ALEA: Estudos Neolatinos - PPGLEN, UFRJ, 2019

Dans les premières lignes d'Anywhere out of the world, Baudelaire prête aux habitants de Lisbonne la « haine du végétal ». Cet article se propose d'éclairer le sens de cette formule d'un point de vue historique, esthétique et polémique, en se fondant sur l'oeuvre et la correspondance de Baudelaire, ainsi que sur l'intertexte romantique (Théophile Gautier, Pétrus Borel). Mots-clés : Poésie moderne, romantisme, panthéisme, lycanthropie. Abstract In the first lines of Anywhere out of the world, Baudelaire dreams to go to Lisbon, where people "hate vegetation". Based on baudelairian and romantic intertext (Théophile Gautier, Petrus Borel), this article aims to shed light on the meaning of this expression from an historical, aesthetical and polemical point of view.

Abbesse et agronome : Hildegarde et le savoir botanique de son temps

1995

Peut-on néanmoins se faire une idée des livres botaniques réellement composés par l'abbesse ? La matière du Liber subtilitatum le vouait aux ajouts, y compris ceux de Hildegarde elle-même (rien n'exclut en effet qu'après 1158, date d'achèvement de l'oeuvre d'après son propre témoignage, elle y ait remis la main de loin en loin) ; mais c'est surtout après sa mort que ses écrits se prêtèrent à des compléments, à l'instar du Circa instans du médecin salernitain Platearius, véritable oeuvre ouverte grossie au fil des ans et des siècles 6. On relève en effet un certain nombre de discordances plaidant en faveur de remaniements : différences entre le nombre des chapitres dans la liste inaugurale du liber de plantis (213) et chapitres réellement présents dans le livre (228), ou entre le nombre des chapitres dans les manuscrits complets et dans l'édition princeps de la Physica, donnée par Jean Schott à Strasbourg en 1533, qui énumère 180 plantes dans le livre II, et 8 dans le livre III, consacré aux arbres. Doit-on en conclure que le corpus d'origine comprenait 188 espèces ? De fait, dans le manuscrit de Florence, c'est à partir du chapitre 189, "De Wichwurz", que l'on note l'introduction d'une seconde numérotation des chapitres, en chiffres romains. Mais ce chiffre de 188 ne doit-il pas être révisé à la baisse ? On prête par exemple à Hildegarde un caractère pionnier avec des chapitres radicalement novateurs, dans l'Occident du XIIe siècle, comme ceux qui sont consacrés à la clavaire, à l'arnica ou encore à plusieurs espèces de champignons, distingués selon le type de support sur lequel ils se développent. Or de telles notices sont absentes de l'édition princeps, et l'étude des manuscrits, notamment celui de Florence, montre que c'est précisément à partir du chapitre "De Fungis" (n° 172) que l'ordre de succession annoncé cesse d'être respecté, par infiltration ou déplacement de groupes de chapitres, et intrusion d'éléments non végétaux (miel, sucre, lait, beurre, etc., cap. 178-188) ; en outre, ce chapitre est annoncé sous le titre de "De diversitate fungorum Moyses", comme s'il émanait d'un autre auteur. Seuls les 171 premiers chapitres, i.e. ceux que l'on trouve à la fois dans les manuscrits complets et dans l'édition Schott, seraient-ils donc dus à Hildegarde, ainsi que le suggère M. L. Portmann 7 ? Rien n'est moins sûr, car les chapitres 189-213 et 223-228 figurent tous et dans les manuscrits et dans l'édition princeps... Les fragments mis au jour invitent eux aussi à reconsidérer les contours du texte : on sait ainsi, grâce aux travaux de L. Schuba 8 , qu'une Summa Hildegardis de infirmitatum causis et curis se trouvait à Heidelberg au début du XVe siècle, mais on ignore ce qu'elle contenait au juste, et peut-être peut-on s'en faire une idée d'après les extraits de Hildegarde copiés dans cette même ville au XVe siècle. Celui qui est conservé dans le MS Pal. lat. 1216 contient une recette ne ressemblant que très vaguement au chapitre "De Plantagine" de la Physica que nous connaissons aujourd'hui ; dans le manuscrit renfermant deux fragments copiés par Gerhard von Hohenkirchen, une recette à base de sardoine, mais surtout une à base d'aristoloche et une autre à base de mirtilboum n'ont pas de rapport direct avec les chapitres consacrés à ces éléments dans la Physica 9 ; en revanche, un des fragments copiés par Erhard Knab emprunte à la notice "De Fungis" inconnue de l'édition princeps 10 ; enfin, le fragment édité par B. Fehringer, copié par Wilhelm Gralap 11 à Spire en 1456 mais reproduisant une traduction plus ancienne (MS Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, Germ. Fol. 817), recense pour sa part 204 plantes (dont la fameuse clavaire, Hirtzswam, pionnière pour le XIIe siècle dans la Physica mais apparaissant dès 1200 sous le nom de Cerviboletus dans le Deutscher Macer... 12).

« Abbesse et agronome : Hildegarde et la botanique de son temps »,

dans Hildegard of Bingen. The Context of her Thought and Art, éd. Ch. Burnett, P. Dronke, Londres, The Warburg Institute, 1998, p. 135-156

Hildegarde de Bingen (1098-1179) fit incontestablement œuvre importante dans le domaine de la connaissance du monde végétal, mais sa "botanique" constitue une question difficile à aborder, en raison d'abord des problèmes liés aux textes qui nous l'ont transmise. L'œuvre qui lui est aujourd'hui attribuée en la matière est-elle entièrement sienne ou s'agit-il de traités à plusieurs mains dont la composition se serait étalée sur plusieurs décennies, et au-delà du XIIe siècle ? Question cruciale si l'on veut apprécier l'originalité du savoir de l'abbesse, qui paraît à première vue aussi, voire plus étendu que celui de certains de ses contemporains : et si ces écrits étaient en fait postérieurs à Hildegarde, ayant bénéficié de la redécouverte, en Occident, de certaines sources, ou d'influences nouvelles ? Par l'étude plus précise des rapports entre les écrits botaniques de l'abbesse et de la littérature agronomique latine, on tâche ici de voir si les écrits mis sous son nom sont effectivement "de son temps".

« Ô boisson magnanime ! ô peste genereuse. Ambiguïtés et difficultés du discours sur les poisons naturels dans la seconde moitié du XVIe siècle en France », dans Poison et antidote dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, S. Voinier et G. Winter (dir.), Arras, Presses Universitaires d’Artois, 2011.

Sarah Voinier et Guillaume Winter (dir.), Poison(s) et antidote(s) dans les écrits de l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, Arras, Presses de l’Université d’Artois., 2011

Parce que le poison, comme l’antidote, est d’abord une production de la nature, son statut suscite, au XVIe siècle, un discours ambigu et parfois embarrassé. Dans le cadre d’une pensée selon laquelle la nature demeure une création de Dieu, l’existence de poisons naturels pose la question du mal et des desseins cachés de Dieu, celle des forces occultes de la nature et bien sûr celle du rapport entre l’homme et cette dernière. Dans le même temps, le poison naturel suscite l’émerveillement par la puissance et la variété de ses effets (en particulier son caractère duel : bénéfique ou mortifère selon les doses, les individus, les associations..), en même temps que par ses rapports complexes aux autres substances avec lesquelles il peut entrer en relation. Cette communication voudrait donc explorer, dans quelques textes destinés au public ouvert des lettrés plutôt que dans les ouvrages savants des botanistes ou des médecins, comment s’organise le discours sur les poisons dans le cadre plus large du discours sur la nature et sur la création : comment se justifie la création des poisons dans un monde chrétien ? Comment les classe-t-on et les décrit-on ? Faut-il ranger les poisons au rang des « merveilles de la nature » ou sont-ils plutôt de « subtiles inventions » ? Comment entrent-ils en résonance avec les autres substances létales (venins ou air pestilent) ? En bref, comment ceux-ci s’insèrent-ils dans les différents systèmes de représentation de la nature et du corps transmis par les textes de vulgarisation ou par les textes littéraires sur la nature ?