Le chirurgien rouergat Urbain Hémard et son exemplaire du Libellus de dentibus d'Eustache (1563), nouvellement découvert; Contribution à l'histoire du plagiat dans la médecine dentaire de la Renaissance (original) (raw)

2021, Etudes Aveyronnaises

Nous avons cru utile, Pierre Lançon et moi-même, de traduire et publier en français, avec l’aimable autorisation de l’American Academy of the History of Dentistry et du Journal of the History of Dentistry, l’article de Hisham S Ayoub, docteur en médecine dentaire, étudiant à l’institut d’histoire de la médecine à la Johns Hopkins University. Cette savante contribution, intitulée « Hemard’s Libellus: A Controversy of Translation and Plagiarism in Renaissance Dental Medicine, as Confirmed by a Newly Discovered Copy of Eustachio’s de Dentibus », est parue dans le volume 69, n° 1, printemps 2021, de ce même Journal of the History of Dentistry. Elle comprend bien d’autres illustrations qu’il ne nous a pas été possible d’inclure dans cette édition. Les lecteurs pourront en prendre connaissance en consultant l’article original, publié en anglais, conservé à la bibliothèque de la Société des lettres de l’Aveyron. En en revisitant non seulement les accusations de plagiat, mais aussi ses raisons plus profondes, l’auteur ajoute un maillon de plus au premier livre dentaire français, Recherche de la vraye anathomie des dents, nature et propriété d’icelles, publié par le chirurgien rouergat, Urbain Hémard (1548 ?-1592). Ce traité – ne l’oublions pas – a été édité en version modernisée par la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, en 2009, dans le cadre de sa collection des Archives historiques du Rouergue. Si Vésale (1514-1564) a pu, de son vivant, s’insurger contre tous ceux qui l’ont outrageusement plagié, Bartolomeo Eustache (c 1500/10-1574) n’a hélas pas eu connaissance de la publication de la Recherche. En aurait-il été, peut-être, conforté? Lui qui écrivait dans sa lettre de présentation du Libellus de dentibus (1563) adressée au cardinal Marc-Antoine Amulius: « Ce travail nocturne sur les dents, à cause de son insignifiance, risque non pas d’être désapprouvé par ceux qui n’épargnent même pas Galien, mais de rester dans un coin, négligé, ou lu par peu de gens ou certainement disparaître peu après moi… » Son travail a donc été lu et pas seulement lu, exploité impitoyablement par Hémard ! C’est ce que démontre, avec force références, Hisham Ayoub, en rapportant depuis le XVIIe siècle les successives confrontations des deux textes Libellus et Recherche et les déclarations définitives de l’Italien Vincenzo Guérini et du Belge Carlos Gysel d’un plagiat pur et simple d’un Italien par un Français. Personnellement, nous avons tenu à atténuer la violence du verdict en rappelant que les plagiats ont toujours été monnaie courante. Et nous regrettons que ces éminents historiens n’aient absolument pas été touchés ni par le charme ni par la grâce de certaines expressions vernaculaires, aussi naïves qu’imagées, ni par l’humanité exprimée par le chirurgien Hémard à l’égard de la peur de la douleur des patients. En revanche, et c’est la raison majeure de cette publication, Hisham Ayoub pose un regard nouveau sur les raisons politico-économico-sociétales qui ont motivé ce « pillage », et qui ont totalement échappé à tous les exégètes du plagiat textuel. Et Hisham Ayoub contribue aussi à une meilleure connaissance de la bibliothèque personnelle d’Urbain Hémard, plusieurs ouvrages supplémentaires ayant pu être ainsi repérés… notamment le Libellus d’Eustache! Débarquée d’outre-Atlantique, cette étude documentée et novatrice révèle le farouche nationalisme de la littérature, notamment médicale, trait central de l’identité française jalouse de la suprématie médicale et anatomique de l’Italie. Tout ceci ajoute quelques précieux éléments supplémentaires au passé peu glorieux d’Urbain Hémard. - Micheline RUEL-KELLERMANN