Jean Baudrillard -Janvier 1993 (original) (raw)
Jean Baudrillard -Janvier 1993 JEAN BAUDRILLARD entretien avec Serge Bramly ÷ Tu fais des photos et, plus grave, voilà que tu les exposes ( 1 ). Comment s'est effectué ce passage de l'autre côté du miroir? ÷ D'abord, ce n'est pas un saut qualitatif. La photographie s'est glissée là de façon subreptice, tu ne peux pas parler d'une révélation. Bon, jusqu'aux années 80 je n'avais pas une haute idée de la photographie. J'éprouvais un mépris léger à son égard, mais c'était dans l'air du temps. En vérité, cela s'est produit plutôt à la manière d'une contagion... On m'a offert un petit appareil, au Japon, et j'ai débuté en photographiant, dans l'avion du retour, la Sibérie vue d'en haut. ÷ Pas de compromission? ÷ Ni surtout de ralliement à l'esthétique. Pour moi, écrivain, c'était, disons, comme un collage. J'étais intéressé par une certaine forme d'apparition des objets. Je ne prétends pas à une vision subjective, esthétique du monde, ni à une quelconque interprétation, ni à un style... Je ne vise pas à une photographie analytique du monde, à une photographie synthétique qui composerait un autre univers. Non, je photographie des objets qui m'apparaissent au coup par coup. A un moment, tu cristallise sur un truc, ou plutôt un truc se fait voir. Et le sujet photographique, moi en l'occurrence, demeure proche du degré zéro. ÷ Tu as écrit que c'est l'objet qui demande toujours à être photographié, qu'on n'est que le figurant de sa mise en scène ( 2 ). Mais la part du photographe, du sujet, a beau tendre vers zéro, il en reste bien quelque chose. ÷ On ne peut pas évacuer la totalité des références esthétiques. Par la lumière choisie, le cadrage, transparaît sans doute une culture visuelle. Mais enfin, ce ne sont pas des références explicites. Du moins elles ne sont pas conscientes. Je ne nie pas que j'ai un subconscient esthétique comme tout le monde. Mais je reste très méfiant, très réfractaire à la transcendance esthétique, à toute surdétermination esthétique. Je m'efforce d'éliminer, dans mes écrits autant que dans mes photos, la moindre référence explicite à l'Art avec une majuscule.