Subjectivité et connaissance : réflexions sur les épistémologies du ‘point de vue (original) (raw)
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Subjectivité et « cerveau social
Commençons par une métaphore, qui nous fera prendre de la hauteur.... Imaginez que vous êtes à la montagne, il neige. Devant vous, un gros rocher. Il neige sur ce gros rocher. Du revers de votre moufle, vous balayez la fine couche de neige qui commence à s'accumuler. Ces petits flocons légers vous semblent si inconsistants, si aléatoires, qu'en face d'eux le rocher de dur granit s'impose comme la solidité même, immuable. Autour de vous, vous observez que le rocher n'est pas isolé, il y en a des centaines qui barrent la vallée. Vous êtes sur une moraine, l'endroit où un ancien glacier a fondu et déposé tout ce qu'il avait charrié en son sein. Alors vous réalisez que la fine et fragile pellicule de neige que vous venez d'écarter n'aura aucune influence sur le destin du rocher dans le temps où vous observerez sa chute et peutêtre même dans le temps de toute votre vie : immédiatement et localement, le flocon ne peut que buter sur la dureté du rocher. Mais vous savez qu'à une autre échelle, d'espace et de temps, l'amoncellement des flocons de neige devenant un jour ou l'autre glace puis eau de ruissellement, aura eu la puissance de découper puis de déplacer la roche, et même de sculpter le paysage de la montagne. Vous vous souvenez en effet avoir marché sur un glacier : vous avez observé la lente transformation de la neige en névé, puis du névé en glace. Imperceptiblement le rapport s'inversait : la neige qui épousait le relief du rocher se transformait en une structure rigide capable de rayer, raboter, lisser, modeler la paroi rocheuse le long de son trajet. Là où le glacier s'est retiré, vous avez pu lire des lignes, des traits, parfois même comme des lettres gravées, témoins de ce bord de frottement entre la glace et le rocher. À voir se former de profondes crevasses, vous avez deviné que sous le glacier la roche à cet endroit-là faisait obstacle, ou cassure. À voir certaines variations de couleurs ou d'épaisseur de la glace, vous avez également reconnu comme des traces d'événements plus anciens : un enneigement particulièrement abondant, un orage violent, l'effondrement d'une paroi. Le mélange entre glace et débris de roche sous vos pieds devenait si intime que vous n'en perceviez pas bien les bords. Et puis vous avez suivi en imagination le trajet lent, imperceptible, mais inexorable de la glace vers son point de fonte. Que suggère notre métaphore ? Le lecteur, pour qu'on puisse parler d'une métaphore réussie, doit en avoir eu l'intuition : la relation entre vie psychique et fonctionnement neurobiologique cérébral est comparable à la relation entre la neige et le rocher. Quoi de plus voltigeant, léger, aléatoire, que les mots dont nous sommes entourés depuis la naissance et même avant ? Quoi de plus fugitif que les pensées qui nous traversent l'esprit ? De toute cette parlotte il ne reste souvent rien de marquant : rien en tout cas qui soit susceptible de déterminer localement une modification mesurable de la poussée développementale, aussi solide et rigide dans sa programmation génétique que l'érection de la montagne. «Words, words, words» disait Hamlet. Cependant, nous savons que l'immersion dans le bain de langage, qui est le propre du petit de l'homme, va aboutir au cours des toutes premières années de sa vie, à la construction d'une structure psychique venant à recouvrir les fondements organiques innés de la vie mentale, eux-mêmes encore en train de terminer la maturation cérébrale. Certes, le roc biologique va influencer profondément le cours d'une vie, son vieillissement inexorable, et même sa fin programmée. Mais ce que nous pouvons observer de nous-mêmes et de nos partenaires humains, c'est cette surface plus souple, marquée par les effets du langage, la trace de l'histoire ancienne ou récente, et par l'influence, le plus souvent indémontrable localement, mais tout à fait certaine globalement, de l'atmosphère calme ou tempétueuse au sein de laquelle une vie psychique s'est cristallisée. Mais, au fait, pourquoi commencer un article concernant les autismes par une métaphore ? Le lecteur particulièrement attentif aura déjà noté que la métaphore, l'action de transporter ailleurs, ailleurs que dans le sens habituel des mots employés, pour que les mots fassent image et que cette liaison crée un sens nouveau, est précisément une forme de pensée que les personnes autistes ont du mal à utiliser. Nous verrons que l'action de transporter ailleurs pour articuler les images et les mots prendra, dans notre propos, un double sens, à la fois concret et abstrait, neuronal et structural. pourrait s'agir d'aires auditives ou tactiles. En « b »: la zone du sillon temporal supérieur, En « c » : la zone du lobule pariétal inférieur, En « d » : la zone préfrontale au pied de l'aire frontale ascendante, En « e » : l'aire motrice primaire elle-même comme effecteur du mouvement.
Subjectivité et projection : le cas des particules discursives
SHS Web of Conferences
Cet article traite des particules discursives, qui sont des lexèmes ou expressions complexes figées connectés à la situation d’énonciation et au locuteur (bon, en fait, tiens, tu m’étonnes, quoi, zut, etc.). Elles sont abordées ici sous un angle relativement nouveau dans le domaine de l’étude des marqueurs de discours, celui de leur comportement vis-à-vis de la projection. La projection, problème connu en sémantique, désigne le fait que certains opérateurs (la négation, l’interrogation, les modaux de possibilité) n’affectent qu’une partie du contenu de l’énoncé dans lequel ils se trouvent. Un élément se projette s’il n’est pas affecté par ces opérateurs, l’exemple couramment donné étant celui des présuppositions. Les particules se comportent comme des éléments systématiquement projectifs. L’hypothèse est que cela est dû à leur nature présuppositionnelle et à la subjectivité inhérente à leur profil énonciatif.
L’émergence de la subjectivité au sein de la vie
Meta: Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy, 2016
My paper aims to elucidate the emergence of subjectivity from the interplay between living beings and their environment. This attempt to give account of becoming-subject within the life itself leads to a confrontation between the phenomenology of life pursued since at least two decades by Renaud Barbaras with Canguilhem´s philosophy of biology. It starts with a criticism of Merleau-Ponty’s and Patočka´s respective failures to overcome the contrast between the level of bare life and the level of human existence. In order to answer such a prejudicial separation between unexamined life and self-reflected existence, I adopt in the second part a bio-centric perspective on human existence, inspired by Canguilhem and Guillaume Le Blanc, in order to re-evaluate the notion of life in terms of normative, expansive movement that both shapes the living being itself and individuates the elements on which it acts. The final part of the paper seeks to understand the emergence of subjectivity from ordinary life-challenges such as illness and experiences of vulnerability or fragility, thus bypassing the need for stipulating a self-referencing consciousness as a primary mode of self-disclosure.
Le point de vue subjectif, le point de vue objectif
L’Encyclopédie Philosophique , 2018
Spontanément, le monde me paraît centré sur moi et sur le moment présent. Spontanément, ma vie et ce qui arrive présentement me paraissent aussi jouir d’une forme de privilège : je leur accorde naturellement une certaine importance et toujours plus d’importance qu’à ce qui arrive à des gens très éloignés, ou à une époque très distante. Spontanément enfin, le monde m’apparaît chargé de qualités sensibles : la pomme verte que je déguste me semble intrinsèquement verte, intrinsèquement délicieuse. Je suis cependant capable de m’élever au-dessus de ce point de vue subjectif pour considérer le monde plus objectivement. Du point de vue objectif — on parle parfois du point de vue de Sirius, de l’éternité, de l’univers ou même du point de vue de nulle part — le moment présent et moi-même n’avons rien qui nous distingue fondamentalement des autres personnes et des autres moments. A fortiori, nous ne jouissons d’aucun privilège et nous pouvons apparaître totalement dénués d’importance. Du point de vue objectif, de la même manière, les qualités sensibles peuvent sembler irréelles ou au mieux, simplement subjectives : la couleur et la valeur gustative de la pomme ne seraient jamais dans celle-ci, mais au mieux dans l’esprit de celui qui les contemple. Très souvent en conflit, les points de vue subjectifs et objectifs ont donné lieu à des conceptions philosophiques apparemment antagonistes aussi bien en métaphysique, qu’en philosophie de l’esprit, en épistémologie ou en philosophie morale. Même si elle a rarement fait l’objet d’une étude approfondie (il n’existe pas plus de quatre monographies consacrées exclusivement, ou presque exclusivement à ce sujet : Nagel (1993) and Moore (2000), auxquelles on peut à la limite ajouter McGinn (1983) and Williams (2011)), l’opposition entre les deux points de vue traverse ainsi presque tous les champs de la philosophie contemporaine, qu’elle soit analytique ou continentale. Lorsque les points de vue subjectifs et objectifs sont incompatibles quel parti doit-on choisir? On pourrait sans plus de procès répondre « le point de vue objectif », et on serait en effet en bonne compagnie. C’est vraisemblablement le choix de la science moderne et des principales éthiques défendues actuellement, qu’elles soient utilitaristes (cf. Sidgwick (1907) et Lazari-Radek and Singer (2014)) ou kantiennes (cf. cependant Moore (2000) pour quelques nuances). C’est même le choix de la théologie catholique! Le Comminotorum de Vincent de Lerins rappelle ainsi qu’« Il faut veiller avec le plus grand soin à tenir pour vrai ce qui a été cru partout, toujours et par tous », c’est-à-dire ce qui ne dépend pas d’un point de vue subjectif particulier. Comme nous l’avons vu avec l’exemple des qualités sensibles, favoriser le point de vue objectif risque cependant de nous éloigner considérablement du sens commun et de nous obliger à nier l’existence de choses en lesquelles nous semblons croire fermement. Certains philosophes ont aussi défendu l’idée qu’en minimisant l’importance ou la réalité de tout ce qui compte pour nous, le point de vue objectif menaçait de nous « déshumaniser » (Nagel 1993 ; Williams 2011 , 2000). Plus fondamentalement, on peut se demander s’il existe des raisons principielles de préférer le point de vue objectif au point de vue subjectif sur une question donnée et si leur conflit apparent ne peut pas, dans certains cas au moins, être « dépassé ». Après une de brèves remarques historiques (section 1), nous chercherons à définir la notion de points de vue subjectifs et objectifs (section 2), puis à déterminer leurs valeurs respectives (sections 3 et 4) et les problèmes résultant de leur conflit lorsque celui-ci ne peut pas être dépassé (section 5). Nous nous demanderons enfin si l’idéal d’une conception absolument objective et exhaustive du monde, ou simplement celui d’une conception (non exhaustive) absolument objective, peuvent être atteints (sections 6-7).
Revue Ouvertures, 2019
Cet article propose une réflexion clinique sur le malaise de la subjectivité humaine dans le discours médical courant et scientifique. Pourtant, la subjectivité humaine est là, bien vivante, dans l’expression quotidienne des maux du quotidien, de la difficulté de vivre, du mal-être existentiel et de la quête de chacun à être humain. Redonner une place à la dimension du sujet parlant et à son désir singulier- qui ne se réduit pas à un besoin à combler- pourrait-il permettre de mieux traiter la souffrance existentielle, celle qui est partout supposée, mais nulle part parlée ? This article proposes a clinical reflection on the malaise of human subjectivity in current medical and scientific discourse. Yet, human subjectivity is alive and vivid, in the day to day expression of daily life’s evils, the difficulty of living, the existential malaise and in the quest of everyone to be human. Restore a place to the dimension of the speaking subject and to his singular desire – which cannot be reduced to a need to be filled: could it allow to better treat existential suffering, everywhere assumed, but nowhere spoken
Mais où la subjectivité se cache-t-elle donc ? Une esquisse de réponse pragmatique
2019
La question de la subjectivite a ete traditionnellement associee a une origine moi-ici-maintenant, notamment representee par le pronom de premiere personne et le temps present, sans parler des indexicaux de temps (maintenant) et de lieu (ici). Or un grand nombre de faits linguistiques, impliquant notamment le style indirect libre, constituent autant d’arguments contre cette representation classique de la subjectivite. Dans cet article, nous presenterons d’abord la vision classique de la subjectivite issue des travaux de la linguistiques structurale (Benveniste), ensuite l’alternative syntaxique de Banfield, et enfin la relation entre subjectivite et interpretation des enonces dans une perspective de pragmatique cognitive. Dans la derniere section, nous interrogeons la question de l’encodage linguistique de la subjectivite par les temps verbaux, en discutant le cas particulier du Present Historique.