L’incorporation des déités polynésiennes (original) (raw)

© École des hautes études en sciences sociales CET ARTICLE PROPOSE une comparaison entre différents modes de représentation. L'un de ces modes nous est familier. Il caractérise, sous le terme de mimèsis, la plupart des pratiques artistiques et rituelles, en ce qu'il mobilise symboles ou figures (mots, gestes, images) pour donner à saisir une idée, une chose, une entité. Il revient, en Occident, à une manipulation des formes et des substances qui repose sur l'affirmation d'une essence des êtres et des choses. Dans cette perspective, l'essence du divin peut être transmise aux objets ou aux symboles qui le représentent 1. Un autre mode de représentation nous est moins aisément accessible et fait contraste : il se fonde sur l'action manifeste de l'entité représentée et correspond à ce que j'appellerai ici, en développant différents arguments, une « instanciation » 2. Cette instanciation, plus ou moins durable, procède de la double réalisation d'une performance et de son ÉTUDES & ESSAIS L'HOMME 205 / 2013, pp. 55 à 78 L'incorporation des déités polynésiennes Mimèsis, actualisation, instanciation : les modalités de la représentation Sophie Chave-Dartoen 56 Sophie Chave-Dartoen [Suite de la note 2] on entend par « instanciation » en philosophie, en logique et en informatique, la réalisation, dans une entité particulière, de propriétés générales et abstraites. Le terme a un sens approchant en linguistique. Je lui donne dans ce texte une dimension plus dynamique puisqu'il y désigne moins des objets ou des réalisations concrètes, que des manifestations, des performances donnant à saisir la présence d'entités qui, par ailleurs, ne possèdent pas de forme précise et perceptible. Ce terme a l'avantage d'être plus précis que « manifestation » et « performance », deux mots très polysémiques. Dans cet usage, « instanciation » permet, par exemple, d'éviter la confusion avec des types de manifestations (présentification, actualisation…) qui peuvent être associées à des signes par un lien stable et qui sont des phénomènes plus généraux (cf., infra, note 10). 3. Michael Fried donne une excellente définition de la présence dans ce type de contexte : « On dit d'une chose qu'elle a une présence quand elle capte l'attention de l'observateur, quand il la prend au sérieux-et quand il remplit cette exigence en ayant simplement conscience de cette chose et, pour ainsi dire, qu'il agit en fonction d'elle » (1967 : 128, ma traduction). Cette définition pragmatique de la présence convient à toutes les formes d'actualisation, mais le fonctionnement de ce type de présence est nécessaire à la réalisation de l'instanciation. Pour d'autres sortes de présence dans l'art, cf. Hans Belting (2004, entre autres) et George Steiner (1991). 4. « Indice » traduit, dans la version de Gérard Deledalle, le terme anglais index, que Gell emprunte à Peirce (1978).