Nietzsche et les structures nihilistes de la culture européenne (original) (raw)

Nietzsche : de la nation à l'Europe

Au moment de la mondialisation, de l'interdépendance économique, sociale, culturelle et informationnelle entre toutes les régions du monde, le modèle politique dominant en Europe au 20ème siècle, celui de l'État-nation, semble plus que jamais fragilisé. La souveraineté nationale s'estompe (selon les uns) ou se prolonge (selon les autres) dans le projet de l'Union Européenne. Le concept de la nation, d'un peuple autonome partageant une culture et une histoire commune, devient de plus en plus problématique et éloigné de la réalité empirique du présent – la société est de plus en plus métissée et multiculturelle, les individus de moins en moins attachés et inséparables de leur environnement d'origine. Les réflexions intellectuelles sur une société « post-nationale » se multiplient. Et pourtant, le dépassement politique effectif du cadre de l'État-nation semble être un tabou – non seulement pour ceux qui prônent le retour complet en arrière, mais aussi pour ceux qui défendent les acquis de la mondialisation et de l'intégration européenne. Presque aucun responsable politique européen ne se permet de théoriser la dissolution des États nationaux dans un ensemble nouveau, tel que l'Europe fédérale. Il ne s'agit pas ici de défendre une opinion politique quelle qu'elle soit, il s'agit tout simplement de faire un constat, qui sera le point de départ de notre travail. Ce constat est le suivant : l'idée que l'État-nation n'est plus le modèle adapté à la réalité de notre temps et qu'il faudrait donc l'abandonner est quasiment absente dans le débat public, ce qui est pourtant en disproportion flagrante avec le fait que ce modèle politique est pourtant constamment, de façon souvent sous-jacente, sous différentes formes et dans des différents types de discours, mis en question. Et il nous semble en effet qu'il représente un des enjeux cachés de tous les débats politiques portant justement sur les thèmes tels que l'Europe, la mondialisation, l'immigration, ou l'identité nationale. C'est pour cela que dans ce travail, nous essayerons de penser, d'une manière particulière, en l'occurrence celle de Nietzsche, la fin des nations et l'Europe comme un espace politique à venir. Nous allons étudier en détail la pensée nietzschéenne de la transition entre la nation et l'Europe, transition présente dans l'évolution même de la philosophie de Nietzsche. Quel chemin de pensée fallait-il prendre, en partant de la glorification de la culture allemande dans La Naissance de la tragédie, pour arriver au concept du bon européen ? Sur quelle critique du concept de la nation Nietzsche s'appuie-t-il pour le dénoncer de manière si virulente ? Quelle est cette Europe qu'il met en opposition à la nation et qui sont ces bons européens qu'il promeut ? Notre but n'est absolument pas d'arracher la pensée de Nietzsche de son contexte, celui de la fin du dix-neuvième siècle, la comparer ou l'appliquer de façon artificielle à la situation d'aujourd'hui. Nous considérons en revanche que la compréhension minutieuse de cette pensée, produite à l'époque où le problème de l'affaiblissement du modèle de l'État-nation ne se posait justement pas encore, peut être particulièrement instructive pour notre actualité. Nous allons donc reconstituer le raisonnement nietzschéen dans ses étapes distinctes à travers différents ouvrages, en s'intéressant surtout au caractère politique des concepts de nation et d'Europe. Il nous faudra donc évidemment bien saisir ce que le « politique » signifie très précisément chez Nietzsche, qu'est-ce que la « grande » et la « petite » politique, quel rapport les deux entretiennent (ou pas) avec la notion de la culture et de l'art. Mais nous allons surtout essayer de comprendre cette Europe vers laquelle la pensée nietzschéenne tend à travers la critique radicale du nationalisme.

Kulturkritik et philosophie thérapeutique chez le jeune Nietzsche

2012

Dans la Grèce ancienne, on considérait la philosophie comme un remède aux maux de l’âme, comme une thérapeutique permettant à l’individu d’atteindre l’indépendance et la tranquillité d’esprit par la connaissance de soi. Il n’est pas étonnant de retrouver des échos de cette pensée sous la plume du jeune philologue Friedrich Nietzsche. Dans ses premiers écrits, Nietzsche, alors professeur à l’Université de Bâle, donne à cette préoccupation thérapeutique la forme de la Kulturkritik : le philosophe est un médecin qui lutte contre la maladie de la civilisation, en s’en prenant à la fois aux causes et aux manifestations du mal. Cette entreprise l’amène à critiquer les postures caractéristiques du moderne : l’optimisme théorique, l’esprit scientifique, le relativisme historique, l’esthétique de l’imitation, la dignité accordée au travail. Martine Béland retrace les formes de la Kulturkritik de Nietzsche en la rattachant à son projet philosophique d’entre 1869 et 1876, une époque essentielle pour comprendre la genèse de la pensée nietzschéenne.

Nietzsche : une crise latine de la pensée allemande ?

Publié in Actes du colloque « L'esprit latin souffle-t-il sur la pensée moderne », Revue électronique Silène (Camille Dumoulié, dir.), Dans l'oeuvre de Nietzsche, cet « Allemand malgré lui », la construction de paradigmes occupe une place stratégique dans la critique radicale de la modernité démocratique qui en constitue le fil conducteur. Son objectif essentiel est en effet de penser la mort de Dieu jusqu'en ses extrêmes conséquences, c'estàdire d'éliminer les ombres résiduelles de la transcendance pour surmonter la maladie nihiliste. Cette construction relève d'une volonté interprétative qui se flatte de tordre le cou au « faitalisme » positiviste pour élaborer une interprétation fondée sur des normes de valeur autoédictées 1 . C'est ainsi que Nietzsche construit, à partir de ses lectures 2 , un réseau d'antithèses opposant d'un côté la « haute « culture hiérarchique/aristocratique/inégalitaire/classique et la modernité démocratique/individualiste/égalitaire/romantique de l'autre. De ce point de vue, on peut partir de l'hypothèse que la polarité Sud/Nord, latin/germanique, corporel /désincarné qui soustend l'ensemble de ses oeuvres ne se conçoit pas endehors de ce schéma de base articulé autour du principe de hiérarchie 3 . De là les distorsions, déplacements de perspective, « chasséscroisés » sociologiques ou historiques qui ne s'expliquent que dans cette perspective. A l'instar du « grand style » la volonté interprétative s'affirme comme une volonté souveraine qui procède par sélection, différenciation, domination ; à l'opposé de la lecture « fidèle » des textes et du respect positiviste des « faits », elle imprime la marque de sa domination en imposant « tout ce qui consiste à faire violence, arranger, abréger, omettre, remplir, amplifier, fausser, et de façon générale, à ce qui est le propre de toute interprétation» 4 .

Le statut des sophistes chez Nietzsche

Philonsorbonne, 2014

Le statut des sophistes chez Nietzsche Arnaud SOROSINA On connaît la déclaration par laquelle Nietzsche place sa philosophie sous la bannière de l'anti-platonisme : « Ma philosophie, platonisme inversé [umgedrehter Platonismus] : plus loin on est de l'étant véritable, plus pur, plus beau, meilleur c'est. La vie dans l'apparence comme but 1 ». N'est-il pas tentant, à la lecture de ce célèbre fragment, d'assimiler cette revendication de « platonisme inversé » à une sophistique réhabilitée et renouvelée ? C'est ce que suggère apparemment le célèbre plaidoyer de Nietzsche en faveur des sophistes dans le Crépuscule des idoles (« Ce que je dois aux Anciens », § 2). De l'anti-platonisme de jeunesse à l'éloge, tardif, de la sophistique, les lignes qui suivent s'efforcent de montrer que, dans sa lutte contre le platonisme, Nietzsche va être progressivement amené à réévaluer le statut des sophistes : la culture sophistique, réunie autour de la figure, inattendue, de Thucydide, va constituer le creuset d'une lignée généalogique alternative, dont Nietzsche n'hésitera pas à se réclamer. C'est ce que l'examen chronologique des textes consacrés aux sophistes va permettre de mettre en évidence : d'abord sujets, de 1869 à 1873, à une évaluation ambivalente, en tant qu'ils participent de la décadence socratique tout en représentant la culture de l'agôn, les sophistes sont ensuite favorablement appréhendés comme une étape de transition culturelle, à partir de Humain, trop humain, jusqu'à être considérés, à l'époque des derniers textes de Nietzsche, et à quelques réserves près, comme des hérauts de l'immoralisme.

Nietzsche et la conscience linguistique

V. Bourdier, K. Bréhaux, J. Dunphy-Blomfield, P. Frath, E. Hilgert (a cura di), Res per nomen III: Référence, conscience et sujet énonciateur (ÉPURE - Éditions et Presses universitaires de Reims, Reims 2012)

Nietzsche is one of the philosophers who goes very deeply into the concept of "consciousness". In his early Basel text On Truth and Lies in a Nonmoral Sense, the notion is already regarded with suspicion: consciousness appears as a consequence of the linguistic dynamics involved in the constitution of human communities, that is as product of the habit of lying in order to follow the herd. The implications of the relationship between consciousness, language and community are thoroughly investigated in Nietzsche's mature work, in particular in the aphorism "On 'the genius of the species'" of The Gay Science. This text deconstructs belief in the individual nature of consciousness and disqualifies its definition as "self-knowledge".

Nietzsche et Le Brahmanisme

2010

Ce qui est plus interessant est il nous semble de montrer de quelle maniere Nietzsche a utilise ses connaissances, memes lacunaires, des philosophies de l’Inde ancienne non bouddhique, pour les faire servir ses propres interets philosophiques. Nietzsche n’est pas indianiste, mais s’il n’a pas, a l’instar de Schopenhauer ou sous l’influence de Paul Deussen, fait l’effort d’approfondir ses connaissances des philosophies de l’Inde, cellesci prennent place dans des contextes-clef de sa demarche.