De L’Apparition du livre à l’Histoire de l’édition française et au-delà : un moment historiographique (original) (raw)
2014, 50 ans d’histoire du livre
le travail accompli, l'ampleur de vue, le courage intellectuel qui ont fait de L'Apparition une rupture avec les travaux érudits qui l'ont précédée, en France, et qui tenaient souvent lieu d'histoire du livre. Grâce à son travail avec Lucien Febvre, à sa force de travail, à son intelligence, à son audace, c'est « une histoire totale du livre » 5 qui est tentée là, une ouverture globalisante, une « diaspora mentale » (Michel Melot) qui décloisonne une discipline pour lui donner une ampleur encore jamais vue et une fertilité sans doute inespérée. Dans leurs entretiens avec Henri-Jean Martin, Jean-Marc Chatelain et Christian Jacob retracent la trajectoire intellectuelle du chercheur pour en souligner les effets de rupture, grâce notamment, disent-ils affectueusement, à « un style de pensée et de langage frappés au coin d'une grande liberté et d'un goût avoué pour une certaine provocation. » 6 On ne reviendra pas ici sur l'approfondissement de ses travaux, vers une histoire plus politique ou culturelle 7 , sur l'enrichissement de la bibliographie matérielle à l'anglo-saxonne grâce à l'étude de la mise en texte 8 ou sur un élargissement quasi cosmique autour des questions de communication abordées dans son dernier ouvrage 9. Sa bibliographie comporte des dizaines d'items 10. Au-delà des travaux du chercheur, on reviendra par contre sur son activité magistrale, je veux dire d'enseignant, de formateur, d'entraîneur, de chef d'équipe. De maître. Sans ces qualités d'entraînement, comment comprendre d'une part l'affection dont ses élèves l'ont entouré ? Comment comprendre, d'autre part, son rôle comme animateur, promoteur, de travaux collectifs ? Suscitant l'intérêt de ses étudiants grâce à sa compétence, son autorité, son humour, il savait aussi provoquer leur adhésion par sa disponibilité, sa générosité, ses coups de gueule, son côté décalé, tellement vivant dans un monde un peu assoupi-nombre de témoignages l'atteste. Les promotions chartistes qui l'ont eu comme professeur ont massivement 5. Frédéric Barbier, dans sa Postface à la réédition de L'Apparition du livre (Albin Michel, 1999), hésite sur la formule : il emploie « histoire sociale (p. 556), « histoire totale » (p. 558) ou « histoire globale » (p. 572). 6. Henri-Jean Martin, Les métamorphoses du livre, op. cit., p. 9. 7. Livre, pouvoirs et société à Paris au xvii e siècle, Genève, Droz, 1969. Histoire et pouvoirs de l'écrit, Paris, Librairie académique Perrin, 1988. 8. La naissance du livre moderne (xiv e-xvii e siècles) : Mise en page et mise en texte du livre français,