La science, les politiques et le public : quelle réalité, quels écueils ? (original) (raw)

Science, culture et public : faux problèmes et vraies questions

Quaderni, 2001

On déplore souvent le faible niveau de culture scientifique des citoyens. Il y a pourtant là un paradoxe, car tout membre actif d'une société technoscientifique comme la nôtre est amené à développer un niveau d'expertise élevé et multiple. Mais si les non-scientifiques ne sont pas des non-experts universels, les scientifiques ne sont pas davantage des experts universels. Dans l'état actuel d'ultra-spécialisation de la recherche, le niveau d'ignorance concernant un domaine particulier est pratiquement aussi élevé dans la collectivité scientifique que parmi les profanes. Pour évaluer sérieusement le niveau moyen de compétence scientifique de la société, il ne faut pas oublier que le savoir est intrinsèquement contextuel, et que la signification d'une question ne peut être appréciée dans l'abstrait. Cette nature contextuelle et sociale de la connaissance scientifique échappe complètement au questionnement hors situation et individuel de trop simplistes sondages d'opinion. Elle échappe aussi trop souvent à la conscience des scientifiques eux-mêmes. Il est grand temps d'ajouter à nos études et activités visant à une meilleure connaissance de la science par le public, des études et activités visant à une meilleure connaissance du public par les scientifiques. Et, plus profondément encore, c'est toute la formation des scientifiques qui doit être repensée pour y intégrer les éléments d'histoire, de philosophie, de sociologie, d'économie des sciences désormais indispensables au travail scientifique lui-même. Le problème à résoudre est non tant celui d'un hiatus de savoir qui séparerait les profanes des scientifiques, que celui du hiatus de pouvoir qui fait échapper les développements technoscientifiques au contrôle démocratique de l'ensemble des citoyens. De nombreuses enquêtes et de savantes recherches ont été consacrées, dans tout le monde occidental, au cours des dernières décennies, à une évaluation de la culture scientifique moyenne de nos concitoyens 1. La tonalité générale de ces travaux est plutôt pessimiste. Un résultat archétypique en est, par exemple, qu'une majorité de gens ne sauraient dire si le Soleil tourne autour de la Terre, ou si c'est l'inverse. La plupart de ces études concluent en déplorant cet état de choses, et en insistant sur la nécessité d'efforts toujours plus déterminés pour « diffuser la culture scientifique »-voeux qui, au demeurant, restent essentiellement pieux. Notons cependant que des travaux plus récents et plus précis 2 , replaçant l'évaluation du niveau de connaissances dans le cadre des attitudes à l'égard de la science, aboutissent à des conclusions plus mesurées, relativisant le catastrophisme ambiant. En tout cas, et sans aucunement dénier la réalité de larges hiatus entre les connaissances communes et les savoirs scientifiques, il me semble que certains présupposés implicites de la problématique sous-jacente à ce diagnostic d'inculture scientifique publique méritent examen. La plupart des discussions sur ce thème identifient le "public" dont on cherche à évaluer la compétence scientifique, aux profanes, c'est-à-dire aux non-scientifiques. Autrement dit, la dichotomie entre "savants" et "ignorants", qui sous-tendait toute la conception de la vulgarisation scientifique au dix-neuvième siècle 3 , reste encore prégnante. Il est temps, cependant, de reconnaître que l'inculture scientifique affecte aussi bien les scientifiques professionnels que les non-scientifiques. En effet, dans l'état actuel d'ultra-spécialisation de la recherche scientifique, le niveau d'ignorance concernant un domaine particulier est pratiquement aussi élevé dans

Les « sciences » de l’action publique (dir.)

Quelle place les savoirs produits par la science politique tiennent-ils dans le gouvernement des hommes et des territoires ? Comment ces outils d’analyse sont-ils mobilisés concrètement par les pouvoirs publics ou les groupes d’intérêt ? Par qui sont-ils certifiés et sous quelles conditions ? En retour, quelle incidence a cette instrumentalisation sur la nature et le statut des laboratoires où s’élaborent ces concepts politiques ? Dans l’Europe contemporaine, jamais ces questions n’ont paru si sensibles. Il est vrai qu’une véritable industrie des « études » et « expertises » s’est développée. Longtemps cantonnée à la fonction Recherche des administrations nationales, la voilà qui s’organise dans et autour des institutions européennes : Conseil de l’Europe, Commission, Banque centrale européenne, Parlement, Cour de Justice, etc. Phénomène entièrement nouveau ? Sans doute pas. Que la recherche scientifique participe des processus de régulation publique est un fait ancien. Pourtant les formes prises par cette « participation » appellent de nos jours une réflexion spécifique. Invoquées ou contestées, elles sont au cœur des controverses sur les façons d’administrer la Cité. Défendues par les uns comme un garde-fou contre la démagogie et le populisme, elles sont attaquées par les autres comme mettant en péril les règles de la représentation politique, voire comme une manière de « confisquer » la décision publique. Derrière ce débat, une question se pose : comment les savoirs de l’action publique hérités des Trente Glorieuses se sont-ils recomposés notamment sous la double action de t’européanisation des politiques publiques et de la redéfinition du rôle de l’État face au marché ? Quelles figures du pouvoir sont associées à cette transformation fondamentale, celle du passage d’un monopole étatique à une pluralité de systèmes d’action publique, celle de rapports renouvelés entre ingénierie de gouvernement, sciences sociales et action politique.

La politique, c'est l'expérimentation. Disséminations de l'imaginaire scientifique et mutations de l'espace public

Hermès, 2012

Experimentation, which initially concerned only the experimental sciences field, is a term now used to describe a great many forms of socio-political practice, for example among governments, activists or artists. This extension of the term’s usage illustrates the influence of imagination in experimental research on contemporary conceptions of politics. It is supporting changes in the patterns of political speech and action that need to be better characterised, as they are occurring at the point where scientific and technical reason meets the transformation of the public sphere.

Science et politique

L'Homme et la société, 2006

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Science et délibération publique: réflexions à partir d'un avenir qui n'existe pas

Actes du Colloque 'Penser l'ecologie politique', 2014

L’exercice de la modélisation intégrée et de la construction de scénarios met en lumière les limites de l’optimisation économique quant à l’appréhension des choix de long terme tels que la réduction des émission de gaz à effet de serre face au réchauffement climatique. Ces limites consistent en l’annulation de la différence analytique entre individu et société d’une part, et entre présent et futur de l’autre. Le résultat en est que la modélisation informe un type de rationalité difficile à utiliser, dans le sens à la fois scientifique et politique. Si l’écologie politique questionne notre mode de vie en tant que redéfinition des modes de ralliement ou de coordination entre individus face à la capacité limitée de la Planète à les soutenir, il est important de comprendre comment faire en sorte que les individus puissent se coordonner d'une part sur la base d’instances profondément incertaines qui rendent problématique l’identification de repères partagés pour juger, contester et délibérer de manière collective; et de l'autre en vue d’un futur qui n’existe pas et dont, cependant, on devrait se préoccuper. L’optimisation économique, notamment, annule cette contradiction importante de savoir se soucier d'un avenir que nous ne connaissons pas à travers l’utilisation du taux d’actualisation et le traitement indirecte de l’incertitude, c’est via le recours inévitable aux contre-factuels. Enfin, le caractère profondément interdisciplinaire de la modélisation climatique combinant les disciplines pertinentes au comportement du système naturel et du système socio-économique fait écho au type de défi sur l’interdisciplinarité que l’écologie politique pose sur deux plans : celui de la connexion entre les disciplines scientifiques et celui de la connexion entre les sciences et la politique, cette dernière entendue comme participation. L’appréhension de l’incertitude scientifique est le point de départ de ce défi, tant dans la modélisation que dans l’écologie politique.