Repères sur la littérature hongroise du Banat (original) (raw)
En 1906, le procureur en chef royal de Temesvár (Timişoara), Elek Gozsdu, s'engage dans une correspondance soutenue avec Mme Anna Weisz (née Goldschmidt). Celle-ci, à l'âge de dix-sept ans, est déjà la femme du marchand Lajos Weisz. Gozsdu, à cinquante-sept ans, a derrière lui une carrière littéraire non pas vraiment brillante, mais appréciée par la critique. Ses romans -Az aranyhajú asszony [La Femme aux cheveux d'or, 1880] et Köd [Brouillard, 1882], mais surtout son unique volume de nouvelles, Tantalus [Tantale, 1886] se font remarquer par un éloignement des canons de la prose romantique française et un rapprochement de la prose sombre des écrivains russes obsédés par le sort de l'homme « inutile ». Au début des années 1890, Gozsdu écrit et publie de plus en plus rarement, et l'épisode de Temesvár ne semble être, à première vue, que le reflet tardif d'un amour tout aussi tardif. Pourtant, les lettres de Elek à Anna affirment leur caractère de dialogues intelligents sur la littérature et l'art. À partir de 1910, une histoire d'amour se tisse, qui se reflète dans les lettres : cellesci se transforment en authentiques oeuvres d'art, mêlant de plus en plus d'éléments spécifiques à la fiction et à l'essai. Les lettres, rassemblées par leur auteur en neuf volumes manuscrits puis publiées 1 , sont devenues une référence dans les histoires littéraires par leur langue spécifique et par leur contribution posthume à l'apparition de la modernité dans la littérature hongroise. L'historien de la littérature István Dobos observe que ces lettres dépassent les limites imposées par les nouvelles de l'époque par leur style qui, marqué par une esthétique Art Nouveau et en rupture évidente avec la prose mimétique, transforme en objet esthétique la lettre la plus banale et la vie même : le jardin d'Anna devient un lieu symbolique par l'abondance de la