Une urbanité de confrontation. Regroupements de jeunes et gestionnaires de l’espace urbain (2006) (original) (raw)

2006, Espaces et sociétés

En deçà de la figure du « citoyen », acteur collectif idéal d’une participation républicaine, mais qui est souvent attendu en vain par les acteurs urbains, « l’habitant » a remplacé le « salarié » comme objet légitime des politiques publiques. Tel Janus, il possède une face compassionnelle, celle de l’exclu, objet des démarches de réparation, et une face obscure, celle du jeune délinquant, objet des entreprises sécuritaires. Aujourd’hui considérée comme un délit, « l’occupation des halls d’immeuble par les jeunes » cristallise les contradictions propres à cette figure. Pourtant, le sens que prennent les regroupements d’adolescents ne peut se réduire à ce lieu emblématique, au désoeuvrement et aux combines évoqués de façon récurrente, ou à une violence sans objet. Une cage d’escalier, un banc, une allée ou un espace commun peuvent être, le matin, un lieu de rencontre où des personnes âgées attendront le facteur, l’après-midi un terrain de jeu pour les enfants et le soir venu, un espace de rassemblement pour les plus grands. Dans la même cité, les relations peuvent être courtoises à un endroit et conflictuelles dans un autre. Les lieux concernés peuvent changer au cours de l’année. Loin de tout déterminisme, les mêmes jeunes peuvent paraître affables ou menaçants suivant les occasions. On peut tenter de mieux comprendre ces paradoxes en considérant l’urbanité d’un espace, moins par son statut (la place publique, le centre commercial…), ou par la composition des publics qui le fréquentent (civils ou incivils), qu’à partir des « situations » qui font se croiser lieux et liens sociaux. Sans dénier l’intérêt des deux premières approches, nous allons nous intéresser ici aux situations et aux processus de catégorisation, plus qu’à des types d’espaces ou de personnes. Ceci peut permettre, nous semble-t-il, de dépasser certaines prénotions qui sont attachées à ces types, et notamment le sens essentiellement anomique donné aux tensions publiques qui émaillent l’ordinaire des regroupements de jeunes.