J.-Ph. JACCARD, «Voir – connaître : Optique, représentation, voyance» (original) (raw)
2010, Modernités russes, 11 ("L'Unité sémantique de l'Âge d'argent"), Lyon, CESAL
En marge de la problématique générale de la « synthèse des arts », le problème de la vision / vue mérite certainement une attention particulière dans le cadre des études sur l’Âge d’argent. On peut certainement mettre en rapport les travaux du peintre Mixail Matjušin sur la « vision élargie » avec ceux de Jules Romains sur la « vision extra-rétinienne » et leurs prolongements dans les écrits de René Daumal. Cet intérêt permanent, en France comme en Russie (et certainement ailleurs), pour le fonctionnement de l’œil et ses incidences sur la création artistique, sont à mettre en rapport avec les découvertes scientifiques en optique du XIXe siècle, au même titre que les travaux sur la 4e dimension, ou encore sur la théorie de la relativité. Cet article a pour but de montrer comment ces découvertes purement scientifiques ont influencé les recherches artistiques et en ont donné, partiellement en tout cas, les fondements théoriques, et ce quand bien même la théorie en question est devenue fantaisiste, ou, en tout cas, a-scientifique en cours de route. On peut ainsi mettre en rapport, par exemple, la notion physiologique de « vue périphérique » (Helmholtz) avec celle de « vue élargie » (Matjušin) et, a posteriori, avec la découverte de l’abstraction. En outre, cette problématique ne concerne pas que la peinture : ces théories ont visiblement aussi eu une influence sur la poésie, comme le prouvent, dans la foulée du travail de Matjušin, les expériences d’Aleksandr Tufanov dans les années 1920, tout comme, dans la foulée des recherches de Romains, celles de Daumal dans les mêmes années. Tous ces éléments permettent d’établir, dans la ligne de la fameuse « lettre du Voyant » d’Arthur Rimbaud, un rapprochement de cette problématique avec l’engouement de certains représentants de l’Âge d’argent pour la voyance.