Fabrique des élections (original) (raw)

http://ema.revues.org/2958 Entre septembre et décembre 2005, les 32 millions d’électeurs égyptiens étaient appelés à élire leur président de la République puis les 454 députés de l’Assemblée du peuple (Majlis al-Cha‘ab), la chambre basse du Parlement.1 Tout au long de cette année électorale, les commentaires mêlent passion démocratique d’un « printemps » égyptien et pessimisme de ceux qui ne s’en laissent pas compter : ces élections relèveraient d’une démocratie de façade élaborée avec virtuosité par un régime manœuvrier. On comprend dès lors que l’analyse des processus électoraux en situation autoritaire tarde à acquérir ses lettres de noblesse malgré les travaux d’illustres prédécesseurs2 et des études novatrices récentes.3 4 Pour un ensemble d’études qui prennent au sérieux le fonctionnement des parlements dans le monde ar (...) 5 On renvoie sur ce point aux premières livraisons de l’Annuaire de l’Afrique du Nord. 6 John Waterbury, « Fortuitous By Products », Comparative Politics, vol. 29, n° 3, April 1997, p. 383 (...) 7 Jillian Schwedler and Laryssa Chomiak, « And the Winner is… Authoritarian Elections in the Arab Wor (...) 8 Jennifer Gandhi, Adam Przeworski, « Authoritarian Institutions and the Survival of Autocrats », Com (...) 9 Ellen Lust-Okar, « Divided They Rule : The Management and Manipulation of Political Opposition », C (...) 2Perçue comme une entreprise risquée, l’étude des élections en contexte autoritaire se heurte à un accès difficile voire impossible aux chiffres. Les résultats publiés sont souvent peu fiables, l’analyse détaillée de l’électorat est pratiquement impossible. L’élection demeure très largement perçue comme un mécanisme constituant des régimes démocratiques alors que dans les autocraties, elle ne serait que poudre jetée aux yeux de la population ou des partenaires internationaux. En outre, les élections ne seraient organisées que pour composer des institutions sans impact sur la définition des politiques publiques et elles donneraient naissance à des Parlements entièrement contrôlés par le chef de l’État.4 Enfin, lorsque de telles assemblées seraient dotées de quelconques prérogatives, c’est sans surprise la coalition dirigeante qui remporterait les élections. Faut-il pour autant considérer que tout a été dit sur les élections en régime autoritaire ? La prévisibilité des résultats signifie-t-elle que les élections se déroulent sous le contrôle absolu des détenteurs du pouvoir ? La difficulté d’accès aux chiffres empêche-t-elle d’analyser ces élections autrement qu’à l’aune de leurs seuls résultats ? Ces caractéristiques rendent d’autant plus ardue la recherche sur les élections en situation autoritaire. Elles expliquent que leur analyse soit tombée en désuétude après que leur contribution à la formation des nouveaux régimes ait mobilisé l’attention des chercheurs aux lendemains des indépendances.5 Dans la région, l’intérêt renouvelé pour les élections est lié aux travaux sur les « transitions à la démocratie » des années 1990 qui les ont constituées en « élections fondatrices » de régimes démocratiques. Les spécialistes des régimes autoritaires ont déplacé les termes de l’interrogation : l’enjeu n’est pas tant de connaître le nom du vainqueur que d’éclairer les raisons d’une telle prise de risque par les gouvernants. Souscrire au climat démocratique mondial et donner un nouveau lustre à leur légitimité6 ou affirmer l’emprise des gouvernants sur la société relèvent de ces usages autoritaires des élections.7 Les élections servent également de moyen d’intégration à la coalition dirigeante de groupes sociaux divers8 ou de moyen de division de l’opposition en « permettant à certains opposants politiques de participer au système politique tout en excluant d’autres ».9