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Cette entrée du vocabulaire de la composition peut paraître au premier abord assez ordinaire. L'entrée est en effet commune à nombre d'ouvrages sur la chorégraphie. Pour autant, ce terme est à comprendre avec la parenthèse qui suit, qui en modifie quelque peu le sens habituel : générer du matériau. On verra en quoi ce chapitre se distingue des développements attendus sur les matériaux de la chorégraphie, en insistant d'abord sur les opérations de génération. La plupart des manuels occidentaux de composition en danse moderne ou contemporaine sont structurés autour de la définition des matériaux propres à la chorégraphie. Le vocabulaire pour désigner ces matériaux varie d'un auteur ou d'une époque à l'autre, comme varie parfois aussi le périmètre qui circonscrit les différentes composantes de la chorégraphie. Mais il s'agit dans tous les cas de défendre une pensée de la composition qui n'a plus rien à voir avec un agencement de pas ou d'unités simples-comme c'est le cas dans la danse classique ou baroque. Ce modèle historique a été largement balayé par la modernité en danse. Et si des chorégraphes modernes et contemporains semblent continuer parfois d'emprunter à ce modèle plus ancien d'une combinatoire de pas, ou qu'ils ont recours à des pas répertoriés 1 , le coeur de la composition s'est déplacé ailleurs. Autrement dit, les pas répertoriés ne constituent qu'un élément parmi d'autres matières dansées, parmi d'autres pas et mouvements inventés précisément pour la circonstance. Et surtout, la composition ne consiste que plus rarement à combiner entre eux des gestes simples et préexistants pour aboutir à une oeuvre complexe. Dès les années 1950, Doris Humphrey souligne : « Le but du cours de composition est de trouver du mouvement neuf, que l'on découvrira à partir de certains principes 2. » Elle relie donc étroitement l'acte de composer à l'invention du geste. Pour Humphrey, la combinaison de pas connus est un arrangement et non une création. L'historienne Laurence Louppe formule à sa façon ce lien entre la conception de la composition et l'invention du geste même, lorsqu'elle invite à envisager une « approche globale de l'acte compositionnel qui efface la hiérarchie entre les parties et le tout, et fait coïncider l'invention du matériau ou des micro-organisations au grand brassage qui dans le même élan, organise les combinatoires et produit la texture 3. » Plutôt que de partir d'un vocabulaire de pas, il s'agit de combiner ce que Humphrey appelle les éléments (ou le matériau à l'état brut) : forme, dynamique, rythme et motivation du geste 4. L'exploration de ces quatre éléments constitue précisément le principe du cours de composition. Cela renvoie à une pensée analytique de la danse chez Laban, lorsqu'il distingue, quant à lui, quatre facteurs du mouvement : flux, temps, espace et poids. On trouve dans des manuels de composition plus MATÉRIAU (GÉNÉRER DU) 1 On peut penser à Merce Cunningham, William Forsythe, Lucinda Childs (à partir de 1973), Dominique Bagouet, Daniel Larrieu… évidemment pas pour l'ensemble de leur oeuvre. 2 Doris Humphrey, Construire la danse, op. cit., p. 57. 3 Laurence Louppe, « Quelques visions dans le grand atelier », art. cit., p. 18. 4 « The four elements of dance movements are […] design, dynamic, rhythm and motivation. These are the raw materials which make a dance »,