Colloque "Regards croisés", Institut National d'Histoire de l'Art (28-29 octobre 2022) (original) (raw)
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À partir des années 1950, dans son atelier de Vallauris, Picasso compose plusieurs œuvres dans lesquelles interviennent des objets collectés par l’artiste et réunis, par le processus du modelage en plâtre, dans des créations nouvelles, que sont, par exemple, La Chèvre, La Grue, Petite fille sautant à la corde ou La Guenon et son petit. Les corps humains et animaliers apparaissent ainsi à travers des objets familiers, qui, soumis au regard de Picasso, se métamorphosent en parties anatomiques ou en éléments de décor. Le regard de l’artiste sculpte et l’œuvre semble moins naître de la main, qui maîtriserait savoir-faire et technique, que du regard, saisissant à la fois la poésie et le pouvoir formel des objets collectés au détour d’une décharge ou réunis dans la richesse de l’atelier de l’artiste. Fondateur dans les œuvres de Vallauris, le regard de Picasso, posé sur le quotidien qui l’entoure, joue un rôle déjà essentiel dans son œuvre antérieure, tout en répondant à une tradition artistique bien établie, à travers laquelle quelques objets les plus simples prennent place dans des œuvres originales. Confronté à la reproductibilité des plâtres originaux par la fonte en bronze, le regard sculpteur de Picasso se trouve compromis par la main du fondeur, qui ensevelit sous une unité nivelant la présence des objets, encore palpable dans les modelages en plâtre. Le regard du spectateur apparaît par conséquent telle une possibilité essentielle, afin de compenser la disparition, voire l’annulation, par le bronze, de la métamorphose poétique opérée par le regard de l’artiste. Le spectateur s’engage, en effet, dans une quête visant à identifier ce que le regard de Picasso a su voir, quant au voisinage formel entre ces objets si familiers convoqués dans le processus de création et le répertoire formel des œuvres contemplées. Cette dynamique intersubjective entre le regard de l’artiste et celui du spectateur interroge la dénomination la plus adaptée pour qualifier ces œuvres créées à Vallauris, déployant, en effet, l’existence d’un « art comme jeu », pour reprendre une aspiration du poète et ami de Picasso, Michel Leiris.
Histoire des arts. Les regards de quelques partenaires
Le français aujourd'hui, 2013
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