Sénèque le Tragique en France (xvie-xviie siècles). Imitation, traduction, adaptation - Prolongement de la tragédie humaniste ou transformation ? (original) (raw)

L’œuvre tragique de Sénèque au XVIIIème siècle : lectures, relectures et controverses

2018

Dénommé ainsi par opposition avec Sénèque le Rhéteur d'une part et avec Sénèque le Philosophe d'autre part. Il a fallu près de deux siècles, de la redécouverte par les Humanistes comme Pétrarque jusqu'au Syntagma de Delrio en 1593, pour que les identités et productions littéraires de chacun soient clairement posées. Pour une synthèse des lignes de partage sur la question de l'attribution des oeuvres des deux voire trois Sénèque, de Pétrarque au consensus moderne, voir J. Machielsen. Martin Delrio: demonology and scholarship in the Counter-Reformation, Oxford University Press, 2015, p. 385. 2 C'est l'autre façon courante de désigner celui que nous savons être aujourd'hui Sénèque le Fils, auteur tragique, philosophe, satiriste et naturaliste. 3 Sur le contraste entre la dette avouée de Racine envers Sénèque et la réalité de ses emprunts, voir notamment J. C. Lapp, « Racine est-il sénéquien ? » [1964] dans Une fenêtre ouverte sur la création. Essais sur la littérature française. Études publiées in memoriam John C. Lapp par Cynthia B. Kerr, Tübingen, Gunter Narr Verlag / Paris, Jean-Michel Place, 1983, p. 42 : « Racine s'est toujours montré à l'égard de son emploi de Sénèque d'une discrétion, pour ne pas dire d'une négligence extrême ». Lapp évoque aussi « le laconisme [de Racine] qui semble parfois frôler l'aversion […] » (op. cit., p. 43). 4 Voir par exemple les vers de Jean Loret, dans La Muse historique, lettre du 4 mars 1662 à propos de la création de Sertorius de Thomas Corneille : « Il fait mieux, dit-on, qu'Euripide, Buveur de l'onde Aganipide, Mieux que Sénèque le Romain, Prisé de tout le genre humain […] ». […] car, comme dit Sénèque : « Nous sommes de telle nature, qu'il n'y a rien au monde qui se fasse tant admirer qu'un homme qui sait être malheureux avec courage. Ita affecti sumus, ut nihil aeque magnam apud nos admirationem occupet, quam homo fortiter miser. » 5 Toute la liberté que j'ai prise, ç'a été d'adoucir un peu la férocité de Pyrrhus, que Sénèque, dans sa Troade, et Virgile, dans le second livre de l'Énéide, ont poussée beaucoup plus loin que je n'ai cru le devoir faire. 6 Cette Junie était jeune, belle et, comme dit Sénèque, festivissima omnium puellarum. 7 J'ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette peste de cour ; et je l'ai choisi plutôt que Sénèque. En voici la raison : ils étaient tous deux gouverneurs de la jeunesse de Néron, l'un pour les armes, et l'autre pour les lettres. Et ils étaient fameux, Burrhus pour son expérience dans les armes et pour la sévérité de ses moeurs, militaribus curis et severitate morum ; Sénèque pour son éloquence et le tour agréable de son esprit, Seneca proeceptis eloquentioe et comitate honesta. Burrhus, après sa mort, fut extrêmement regretté à cause de sa vertu : Civitati grande desiderium ejus mansit per memoriam virtutis. 8 N'oubliez jamais, en rapportant les traits ingénieux de tous ces livres, de marquer ceux qui sont à peu près semblables chez les autres peuples, ou dans nos anciens auteurs. On nous donne peu de pensées que l'on ne trouve dans Sénèque, dans Lucien, dans Montaigne, dans Bacon, dans le Spectateur anglais. Les comparer ensemble (et c'est en quoi le goût consiste), c'est exciter les auteurs à dire, s'il se peut, des choses nouvelles ; c'est entretenir l'émulation, qui est la mère des arts. 9 Cependant, beaucoup plus souvent qu'il n'est un simple exemple, Sénèque est au coeur de prises de position et enjeu de débats littéraires. Il est intéressant de voir que Racine se prononce pour l'inauthenticité de la Thébaïdeque nous appelons les Phéniciennes aujourd'huien se fondant sur la mauvaise qualité de cette pièce : Car pour la Thébaïde qui est dans Sénèque, je suis un peu de l'opinion d'Heinsius, et je tiens, comme lui, que non seulement ce n'est point une tragédie de Sénèque, mais que c'est plutôt l'ouvrage d'un déclamateur qui ne savait ce que c'était que tragédie. 10 C'est dire que selon lui, Sénèque savait, inversement, « ce qu'était que tragédie ». On cite encore l'auteur latin pour commenter sa dramaturgie, ses sujets, ses personnages. Il est rare qu'il soit admiré pour sa composition, mais Corneille, dans son Discours des trois unités, note

De la royauté chez Sénèque le philosophe et le tragédien

S. GASTALDI, J.-F. PRADEAU (eds.), Le philosophe, le roi, le tyran. Études sur les figures royale et tyrannique dans la pensée politique grecque et sa postérité, «Collegium politicum. Contributions to Classical Political Thought, 3», Sankt Augustin 2009, pp. 71-83, 2009

Il existe bien chez Sénèque une place pour la dimension proprement politique de l’activité philosophique, qui n’est pas simplement réductible à l’éthique générale. La politique demeure pourtant pour ainsi dire un sous-ensemble de l’éthique, un milieu particulier où la morale doit se confronter aux catégories de la politique. Parmi ces catégories, celle de la royauté joue un rôle de premier plan, même si Sénèque a montré une certaine sympathie pour la république, notamment au commencement de sa carrière politique. Il n’est pas possible de reconstruire une vision unitaire de la royauté chez Sénèque, parce que ses idées à ce sujet (comme sur beaucoup d’autres, de caractère politique ou non) ont subi de profonds bouleversements au cours du temps. Les difficultés de datation de certains ouvrages (particulièrement les tragédies) compliquent de surcroît la tâche du chercheur. Dans le spectre des positions de Sénèque sur la royauté, nous nous sommes arrêtés sur deux pôles opposés : le côté «optimiste» du De clementia (et en partie aussi de l’Hercules furens), fondé sur l’opposition entre le bon roi et le tyran, et visant à maintenir un rapport très étroit entre politique et morale, entre bon roi et sage. À l’autre extrême, on trouve le Thyestes et les Lettres, dont le message désespéré est celui du caractère inconciliable de la philosophie et du pouvoir, du sage et du palais : chaque roi est un tyran. Même le cadre optimiste du De clementia révèle pourtant un échec, celui du théoricien de la politique qui aurait voulu fonder une « méta-éthique » de la royauté sur la vertu extraordinaire de la clementia, mais qui finit par retourner aux sources du stoïcisme et au paradoxe traditionnel selon lequel seul le sage est roi.

Le théâtre ou la pratique de la vérité : les tragédies de Sénèque au service de l'art de vivre stoïcien

2019

La Médée de Sénèque ne laisse aucun lecteur indifférent. Ou bien elle nous plaît pour ses références philosophiques à peine voilées, son style impérial un brin pompeux, sa myriade de référents culturels, ses descriptions poignantes de la folie abyssale dans laquelle sombre la protagoniste et sa mise en scène de l’horreur ordinairement monstrueuse de l’infanticide — ou bien on la déteste exactement pour les mêmes raisons. Dans ce mémoire, nous proposons une interprétation nouvelle de cette œuvre phare de Sénèque dans l’espoir que celle-ci contribue au débat sur la pertinence et la portée philosophique des tragédies de notre auteur. En puisant dans les fragments de Chrysippe et d’autres stoïciens grecs, nous démontrerons que la Médée latine est au centre d’une éthique pratique que Sénèque a voulu mettre en place par son théâtre. En effet, nous sommes d’avis que Sénèque a voulu, par le biais de son théâtre, avoir un impact réel et significatif sur le caractère des auditeurs; alors que ...

Sénèque tragique et sa réception dans le théâtre européen xiv e-xxi e siècle Un théâtre de la virilité à la « romaine » Sénèque le Tragique

Au cours de ces dernières années, un nombre impressionnant d'ouvrages a été consacré aux théâtres romains, marquant ainsi un regain d'intérêt pour cette architecture spectaculaire omniprésente au coeur des villes du Haut-Empire 1. Ces études montrent à quel point les édifices théâtraux sont indissociables du développement urbanistique qui s'y opère au début de l'ère impériale. On assiste en effet, dès l'avènement d'Auguste, à une véritable « monumentalisation » de ces villes, en Gaule comme dans les autres provinces occidentales de l'Empire 2 , dont les théâtres sont, à l'image des fora et temples nouvellement construits, les figures de proue d'une culture romaine exaltée, porteurs d'une astucieuse propagande impériale 3. Nous retracerons l'histoire de l'architecture théâtrale en Gaule romaine durant les premières décennies du Principat, avant de porter notre intérêt sur un monument tout aussi caractéristique qu'unique : le théâtre augustéen d'Arles. Nous évoquerons finalement les liens qui unissaient cette architecture spectaculaire à la tragédie romaine du i er siècle après J.-C. 1 Une bibliographie exhaustive de l'architecture théâtrale du début de l'ère impériale a été établie par l'auteur de la présente communication dans sa thèse de doctorat : Christophe Coulot, Citharam iam poscit Apollo victor. Architektur und Bauornamentik der Scaenae frons des augusteischen Theaters von Arles, TAF n o 30, Rahden, VML, p. 267-281. Il conviendra d'y ajouter le récent ouvrage de Hans Peter Isler :

La traduction de la tragédie grecque en France : le tournant décisif de la période 1660-1780

TTR : traduction, terminologie, rédaction, 1998

Résumé La traduction de la tragédie grecque en France. Le tournant décisif de la période 1660-1780 — La traduction de la tragédie grecque en France, dont l'histoire avait commencé à la Renaissance, connaît une longue interruption au XVIIe siècle, qui correspond à la naissance et au développement de la tragédie classique française. C'est sur la période suivante, durant laquelle la traduction de la tragédie grecque a repris en France, que nous voulons mettre l'accent, parce que les façons de traduire qui ont prévalu à l'issue de ce nouvel élan ont fortement marqué l'histoire ultérieure du genre et elles ont continué de prévaloir, en ce qui concerne la tragédie grecque, jusqu'à une date récente. C'est au lendemain des vifs débats sur la manière de traduire les poètes et à la suite des progrès de l'érudition et de la philologie que s'est développée en France la Traduction analytique en prose, finit d'un intérêt nouveau pour l'Antiquité et d&#3...

La tragédie sans drame : relire la Médée de Sénèque à partir du nō

article (texte), Mètis, 2020 : https://books.openedition.org/editionsehess/30182, 2020

Résumé : On a souvent reproché aux tragédies de Sénèque de ne pas être suffisamment dramatiques et, à cause de cela, d’être inadaptées à la scène. La comparaison avec le nō permet de changer cette approche et d’envisager la tragédie sans intrigue. En confrontant deux pièces apparentées par leur histoire – la Médée de Sénèque et le nō Kanawa – nous constatons qu’il s’agit dans les deux cas de spectacles fondés sur la codification de l’espace et du jeu, à l’opposé des théâtres de la représentation. Le spectacle repose non sur un drame abstrait ou sur une psychologie réaliste mais sur des structures attendues. Le nō nous permet de substituer aux scènes, la notion de modules : des formes spectaculaires autonomes et typiques, caractérisées par une forte autonomie et suivant d’une pièce à l’autre un enchaînement codifié. Abstract : According to many scholars, Seneca’s tragedies lack a dramatic structure. Thus, they wouldn’t fit to the stage. However, if we compare Seneca to another tradition, the Japanese noh, plot doesn’t appear necessary for the stage. When comparing two similar plays – Senecas’Medea and the noh Kanawa – we discover that the show doesn’t rely on a drama but rather on a theatrical codification. On the contrary to a realistic drama, the protagonist doesn’t perform a story but rather elements of show based on music and dance. Instead of the scenes, we have what we can call modules: elements of the show that have their own specificity and that work together as visual and aural components.

Sénèque revisité : la topique de la Fortune dans les tragédies de Robert Garnier

Études françaises, 2008

Résumé L’article propose une analyse de l’utilisation du concept antique de Fortune dans les tragédies de Robert Garnier, dramaturge important de la seconde moitié du xvie siècle en France. En prenant pour modèle les tragédies de Sénèque, Garnier propose une lecture à la fois ontologique, sociopolitique, éthique, justicière et héroïque du rôle de la Fortune dans l’économie de la tragédie, concept qu’il est amené à assimiler à la notion chrétienne de Providence.

Dramaturgie de l'aparté dans les Tragédies de Sénèque

2015

Les releves proposes par J.-P. Aygon dans la contribution precedente, dressant le catalogue des apartes retenus comme tels dans les tragedies de Seneque, constituent notre base de travail. Il s'agira ici de proposer diverses descriptions de ces passages, prealablement a leur interpretation. Comment Seneque travaille-t-il le procede ? Montre-t-il un vrai souci de dramaturge dans l'ecriture scenique de ces scenes ? Y at -il quelque necessite dans l'usage des apartes ou fonctionnent-ils comme de faciles et simples ficelles, usant et abusant de la convention ? Le recours a cette forme d'expression est-il lie, et dans quelle mesure, a ce theâtre des passions qui offre une plongee dans l'âme des personnages ? Telles sont les questions que nous nous sommes posees afin de proposer une etude dramaturgique de l'aparte dans ces tragedies. Pour tenter d'apporter quelques pistes de reflexion, nous mesurerons d'abord la place des apartes dans le theâtre de Seneque,...