L'économie monastique bourguignonne en quête d'organisation rationnelle (XIIe-XVe siècles) (original) (raw)

2012, Atti delle Settimane di Studi e altri convegni / 43. Religione e istituzioni religiose nell’economia europea. 1000-1800 • Religion and religious institutions in European economy. 1000-1800. Atti a cura di Francesco Ammannati, Firenze University Press, Firenze, 2012

L'économie monastique des célèbres abbayes de Cluny, Cîteaux et Saint-Bénigne de Dijon est inégalement connue. L'économie cistercienne a suscité nombre de travaux, tandis que les aspects économiques des grandes institutions de tradition clunisienne sont restés largement dans l'ombre des approches spirituelle, architecturale et politique, pour ne citer que les plus courantes. Leur rapprochement avec des sources inédites du fonds de Saint-Bénigne permet de lire sous un nouveau jour deux chartes, connues, de Cluny, ainsi que de saisir l'évolution et l'interaction de la pensée comme de la pratique économiques des trois abbayes à travers quatre siècles. Deux chartes de Cluny reflètent une opération de recapitalisation accompagnée d'une étude visant à améliorer la productivité des domaines assurant l'approvisionnement de l'abbaye, menées sous Pierre le Vénérable grâce au savoir-faire d'Henri de Blois, trésorier du royaume d'Angleterre et ancien moine de Cluny. Elles ne suffirent cependant pas à résoudre durablement les problèmes d'une institution restée prise dans les catégories de pensée fondées sur la complémentarité des trois ordres, dans la stratégie de laquelle la mainmise sur les paroisses rurales jouait un rôle fondamental. Les étapes d'évolution de la gestion cistercienne à partir de l'idéal d'autarcie des débuts jusqu'à la fin du Moyen Age via une articulation croissante avec l'économie marchande à partir du dernier quart du XIIe s. viennent d'être précisées autour de l'exemple du cellier de Vougeot (B. Chauvin, 2008). Conjointement avec l'introduction de techniques organisationnelles cisterciennes, voire de mise sous tutelle cistercienne d'abbayes bénédictines (Cluny, Saint-Bénigne) tout au long du XIIIe s., et malgré les résultats limités de ces démarches, elles témoignent de l'efficacité économique de la pensée cistercienne fondée sur la quête individuelle du salut, illustrée également par le remodelage du pays nuiton indépendamment de la structuration paroissiale. Au sortir des années les plus difficiles du XVe siècle dans la région dijonnaise, vers 1440, un état des revenus de Saint-Bénigne, sorte d'audit avant la lettre portant sur une vingtaine de localités, révèle une approche systémique de l'auteur lequel semble originaire des « pays de par-deça » proches de la Flandre et de son développement économique parmi les plus avancés du temps, et manie expressément des concepts qui renvoient aux notions actuelles d'épargne, d'investissement et de faisabilité, sans oublier la prise en compte d'aspects psychologiques. Ainsi se dessinent trois stratégies territoriales, élaborées dans des contextes différents mais à chaque fois selon des concepts en pointe de la pensée économique et gestionnaire du moment, endogènes ou importés, dans ces institutions religieuses de premier rang dont le rayonnement était tributaire de leur capacité à maîtriser l'économie rurale.