Rétrospectives: Pasolini documentariste ou l'écriture du désastre (original) (raw)
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Pasolini a toujours été considéré comme un intellectuel à contre-courant, de la poésie au cinéma, en passant par la littérature. Au cœur de la réaction au néoréalisme des années 1950, nous analyserons ici ses prises de position dans le débat et sa justification d’un style réaliste que ce soit dans les champs littéraire ou cinématographique. Between poetry, cinema or literature, Pasolini has always been regarded as a marginal intellectual. At the core of the reaction triggered by the Neorealism in the Fifties, one will analyze his standpoints in the debate and his justification about a realistic style, whether dealing with the literary or with the cinematographic field.
Pasolini : l’écriture et l’action de l’espoir à l’utopie
Pier Paolo Pasolini : pour une anthropologie poétique, textes recueillis par Angela Biancofiore, Presses universitaires de la Méditerranée, Montpellier III, 2007, p.151-165., 2007
Pasolini produit au sein de son écriture une palingénésie du mythe c'est-à-dire une naissance renouvelée du mythe produisant cette tension nécessaire au travail de l'écrivain. L'écriture pasolinienne est donc mytho-poïétique, elle engendre sans cesse ses mythes, tout en les refusant lorsqu'ils se révèlent inadéquats à l'engagement dans le réel: le mythe du monde paysan du Frioul, le mythe du sous-prolétariat romain (Accattone, Ragazzi di vita), le mythe du Tiers monde (Alì dagli occhi azzurri, La fleur des Mille et une nuits). En même temps, l'intellectuel reconnaît son activité de « créateur de mythes » et les démantèlent définitivement dans les années 70 tout en conservant une sorte de utopie (v. Entretiens avec Jean Duflot).
Fonctions de l’anachronisme chez Pasolini
Appareil, 2009
La question de l'anachronisme constitue un des fils à partir desquels on peut envisager pour ainsi dire l'ensemble de l'oeuvre de Pasolini, et surtout, l'atteindre en son centre même, en ce qui en constitue le coeur, et comme le ressort intime. Ce fil rouge, d'ailleurs, n'est pas sans croiser un autre guide pour s'orienter dans l'oeuvre, qui est celui de l'autobiographie, entendue comme reconstruction fictive consciente. C'est au point de rencontre de ces deux lignes travaillant l'oeuvre de Pasolini qu'on peut situer un de ses poèmes les plus célèbres, cité par le personnage du réalisateur, incarné par Orson Welles, dans La ricotta, et qui énonce notamment ceci : « Je suis une force du passé. / À la tradition seule va mon amour. / Je viens des ruines, des églises, / des retables, des bourgs / abandonnés sur les Apennins ou les Préalpes, / là où ont vécu mes frères », mais, poème qui profère en même temps cette autre chose : « Et moi, foetus adulte, plus moderne / que tous les modernes, je rôde / en quête de frères qui ne sont plus » 1. À travers ce raccourci, par lequel le poète s'énonce comme appartenant de toutes ses fibres à un monde révolu, en même temps qu'il se revendique d'une extrême modernité, on peut saisir cela même qui constitue l'anachronisme en tant que tel comme étant au centre, non seulement des techniques artistiques de Pasolini, mais plus profondément, de toute l'expérience existentielle et politique qui sous-tend l'oeuvre. En effet, cette tension entre temporalités irréductibles traverse tout le travail de Pasolini, et s'enracine dans une opposition radicale entre « préhistoire » et « histoire », qui correspond au fait, sur lequel il est revenu si souvent, que l'Italie des années cinquante a connu, quasiment en un seul moment, les deux révolutions industrielles, celle du passage d'un monde rural à celui de l'industrie, puis, aussitôt après, la transformation de ce « paléo-capitalisme » en un « néo-capitalisme », à travers l'avènement de la société de consommation. On sait que Pasolini vivra cette transformation accélérée à la manière d'un traumatisme, mais il ne s'agit pas pour lui de prôner le moindre retour vers un monde des origines posé comme édénique, et c'est en cela que son usage de l'anachronisme, entendu comme technique artistique cette fois, peut nous intéresser, quant à la mise au jour de vertus politiques et heuristiques propres à cet entrechoc des Fonctions de l'anachronisme chez Pasolini Appareil , Articles
La profanation du montage : Le montage/mort et l’infini plan-séquence comme allégorie chez Pasolini
"Pasolini : religion rebelle"
Cet article examine les liens entre, pour l’aspect technique, le plan séquence et le montage, et, pour l’aspect philosophico-historique, la vie quotidienne et la politique mondiale, du point de vue d’une profanation capable de désamorcer la puissance et avec une attention particulière portée à l’unique film expérimental de Pasolini : La sequenza del fiore di (1968). Ce court métrage n’a pas seulement un statut spécial dans la filmographie de Pasolini, il marque aussi un tournant du tragique vers un ton comique/pessimiste de son cinéma profanateur. Cet article révèle aussi une réception inattendue de Heidegger, par l’intermédiaire du marxisme heideggerien de Karel Kosik et d’une conception benjaminienne du profane fondée sur l’idée de bonheur.
Pathos et Sacree chez Pasolini
Pasolini a souvent interprété son intérêt pour le sacré en termes idéologiques, comme un dégoût pour la rationalité bourgeoise, dont la conscience pragmatique appauvrit le monde, qu'elle désenchante et soumet à une vision étroitement utilitariste. Ayant perdu le sens du sacré, la société moderne le remplace par une idéologie « du bien-être et du pouvoir » 1 ; c'est une civilisation du « bon sens, de la prévoyance et de l'avenir » 2 . Cette nostalgie du sacré ne va pas sans dangers obscurantistes et Pasolini sait bien qu'en idéalisant une sacralité archaïque, il ne renvoie peut-être qu'à une origine mythique 3 , mais il passe outre, voyant dans cette nostalgie « l'expression d'un refus, d'une angoisse devant la véritable décadence issue du binôme Raison/Pragma, divinité bifrons de la bourgeoisie » 4 . Que la bourgeoisie non seulement ait perdu le sens du sacré, mais encore soit essentiellement incompatible avec lui, c'est ce que démontre Théorème à partir de l'hypothèse suivante : supposons qu'un dieu fasse irruption dans le quotidien aliéné d'une famille bourgeoise, qu'arriverait-il sinon la destruction de celle-ci, en tant que famille, en tant qu'ensemble de valeurs et de croyances idéologiques, en tant qu'unité de production enfin ? Elle abandonnerait tout ce qui fait, selon Pasolini, l'esprit bourgeois : respectabilité et ordre, balayés par le scandale sexuel ; rationalité, ébranlée par la passion et l'interrogation spirituelle ; logique utilitariste, débordée par 1 . Voir les Entretiens avec Jean Duflot, Paris, Belfond, 1970. 2 . Ibid. 3 . « Je me rends compte que la nostalgie que j'ai du sacré idéalisé et qui n'a peut-être jamais existé -du fait que le sacré a toujours fait l'objet d'une institutionnalisation, par exemple au début avec les chamanes, puis les prêtres -que cette nostalgie a quelque chose d'erroné, d'irrationnel et de traditionaliste. » Ibid. 4 . Ibid. Chroniques italiennes web 12 (4/2007) dans la mesure où il fusionne en quelque sorte par analogie avec une sorte d'immense fétichisme sexuel. Le monde ne paraît être à [ses] yeux qu'un ensemble de pères et de mères, pour qui [il] éprouve un transport total, fait de respect et de vénération, et du besoin de violer ce respect à travers des désacralisations, fussent-elles violentes et scandaleuses 7 ».
Petrolio de Pasolini, un livre-somme inachevé ou inachevable ?
Continents manuscrits
Pasolini, poète, cinéaste, dramaturge, critique littéraire et commentateur de son époque, n'a pas pu mettre le point final de Petrolio, son oeuvre la plus ambitieuse, car le roman était en cours d'écriture lorsque son auteur fut assassiné à Rome dans la nuit du 1 er au 2 novembre 1975. Toutefois, comme il avait souhaité en avoir un exemplaire pour travailler à Chia, nous avons un état du texte dactylographié par lui-même et numérisé. Tantôt appelé « Roman », tantôt dénommé « Poème », Petrolio n'est pas subdivisé en chapitres mais en appunti (notes), ce qui révèle que, pour Pasolini, aucune section du livre n'était achevée. Pourtant, certaines d'entre elles peuvent avoir aux yeux du lecteur un caractère abouti. Plusieurs modèles d'oeuvres complexes, auxquelles Pasolini fait référence, l'ont inspiré, parmi lesquelles La Divine Comédie de Dante, les contes des Mille et une nuit ou encore Les Possédés de Dostoïevski et À la recherche du temps perdu de Proust. Les déclarations de Pasolini laissent à penser qu'il considérait Petrolio comme une oeuvre-somme, il avait même dit que ce serait son dernier livre. Divers éléments prouvent que le livre est resté inachevé ; ils sont aisément repérables par la typographie et certaines indications de Pasolini. Mais nous voudrions nous interroger sur la faisabilité du livre. Pasolini pouvait-il achever le livre tel qu'il le présente, avec de nombreux narrateurs, plusieurs intrigues, des références à des mondes opposés, comme celui du rêve personnel et celui de la réalité politique de l'Italie de l'époque ? Le livre s'ouvre par une intervention de l'auteur fictif qui prend la parole sur ce qu'il entend écrire. Or, dès ce texte qui tient lieu de préface, l'auteur semble indiquer que l'inachèvement fait partie intégrante du livre. De plus, si nous nous référons au projet de 1972 publié à la fin de l'ouvrage, le livre semble déborder ce projet. Après avoir examiné cette section préliminaire et le projet, nous en viendrons aux éléments mêmes du récit qui se heurtent à la possibilité de l'achèvement du livre. Nous voulons parler de la pluralité des narrateurs, de la diversité des lieux et des époques et de la référence à des mythes. Ces différents éléments permettent à Pasolini d'élaborer toute une poétique Petrolio de Pasolini, un livre-somme inachevé ou inachevable ?
Pier Paolo Pasolini et 68 : de l'espérance à l'utopie
Actes du colloque 1968-2008 : un événement de paroles, textes recueillis par Cécile Canut et Jean-Marie Prieur, Paris, Michel Houdiard éditeur, 2011
En 1968, l'écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini a été, une fois de plus, au centre des polémiques en Italie. Le mouvement des jeunes, qu'il définit « guerre civile » et non pas « révolution », le persuade que l'histoire n'est pas finie, que l'Histoire continue, grâce à la volonté de ces militants qui veulent changer le cours de l'histoire. En même temps, le mouvement lui révèle sa marginalité : Pasolini, militant communiste à partir de 1948 et, après son expulsion du parti, militant « marxiste » dans les années 50, après avoir « abjuré » et avoir traversé la crise politique de 56 (le XXe congrès du parti communiste qui reconnaît officiellement les crimes de Staline), est surpris par le mouvement de 68, par un langage qui ne lui appartient pas, par la mode des cheveux longs, par la libération sexuelle. Lui, qui désormais fait partie de la génération des « pères »-né en 1922 il a 46 ans en 1968-assume une attitude antinomique : soutien du mouvement et condamnation des limites du mouvement. La question du croire: de l'espérance à l'utopie Lorsque le mouvement de 68 éclate Pasolini assume une position contradictoire : d'un côté il affirme que les policiers sont les fils des prolétaires alors que les fils de bourgeois peuvent se permettre le luxe de jouer aux révolutionnaires; de l'autre, il soutient le mouvement en prêtant son nom en tant que « directeur responsable » au journal Lotta continua. Le poème qui fait éclater le scandale est « Il PCI ai giovani!! » qui, à l'origine, aurait dû être publié dans « Nuovi argomenti » et qui a été publié partiellement dans l' « Espresso », magazine ayant une très large diffusion et entraînant des réactions que Pasolini n'avait pas prévues lorsqu'il a écrit le poème.