Mobilité et motilité: de l" intention à l" action (original) (raw)
Dictionnaire des inégalités et de la justice sociale, 2018
Mobilité sociale « Mobilité sociale » in P. Savidan (dir.), Dictionnaire des inégalités et de la justice sociale, Paris, PUF, pp. 1113-1120. Dans son acception la plus répandue, la mobilité sociale désigne le parcours qu'effectue un individu dans l'espace social. Il s'agit plus précisément de comparer la position sociale occupée par un individu à un âge donné à celle de ses parents au même âge (en réalité, très souvent à celle de son père). Si les économistes font du niveau de revenu un indicateur central du positionnement d'un individu au sein de la hiérarchie sociale, les sociologues utilisent quant à eux la plupart du temps la catégorie socioprofessionnelle pour construire des tables de mobilité sociale permettant de définir si la trajectoire d'un individu relève de l'immobilité sociale (on parle alors de « reproduction sociale ») ou s'il a connu une mobilité, ascendante ou descendante.
Mobilités changeantes, mobilités intriquées
Si le monde scientifique semble s’entendre sur la survenance d’un mobility turn, beaucoup reste à faire pour en comprendre la nature et l’extension. Une vision courante consiste à pointer une intensification des mobilités, tantôt en fréquence, tantôt en distance, parfois encore en vitesse. Cependant, plus est creusée la question des mobilités, plus il apparaît difficile de s’en tenir à l’approche linéaire classiquement retenue, qui fait de la mobilité un déplacement d’un point à un autre de l’espace physique au cours d’une durée déterminée. Il nous semble qu’une évolution importante de notre relation à l’espace-temps exige de réexaminer cette définition. Longtemps, l’espace fut vécu de manière cohérente : se déplacer impliquait traverser l’espace, quitter un établissement pour un autre, rompre les liens communicationnels que l’on pouvait établir dans l’un, en établir de nouveaux dans l’autre, acquérir un nouveau statut social ou changer de rôle social, etc. Le navetteur alternait ainsi des lieux – habitation et bureau – mais également des espaces sociaux et des rôles – mari et commis aux écritures –. De même, le migrant quittait son pays, son village, ses paysages, mais aussi son statut social, son réseau de connaissances, son ancrage professionnel, etc. Les espaces physiques, sociaux, professionnels, etc. étaient si intriqués que la mobilité pouvait largement apparaître comme un mouvement linéaire, directionnel et évident. Dans notre contribution, nous défendrons l’idée que la mobilité change de visage en même temps que la construction sociale de l’espace. En effet, les possibilités technologiques actuelles, mais aussi de nouvelles légitimités mobilitaires, promeuvent les disjonctions spatiales. Il est dès lors possible de se déplacer physiquement sans perdre contact avec des entités qui ne nous accompagneraient pas, d’être physiquement coprésents sans l’être socialement, d’entretenir des niveaux multiples de coprésence avec un réseau étendu d’entités et de lieux, etc. En nous fondant sur les résultats d’une étude de grande ampleur sur stratégies de mobilité résidentielle dans l’agglomération genevoise, nous montrerons en quoi la mobilité ne peut plus être pensée en référence au seul espace physique et pourquoi il faut concevoir des mobilités de niveaux multiples, concernant des espaces multiples et se déployant en de complexes stratégies mêlant mobilités et immobilités. C’est donc la progressive disjonction des espaces qui oblige à rompre avec l’approche linéaire qui, en rendant compte de la mobilité physique, permettait de supposer un ensemble de mobilités conjointes : sociales, familiales, professionnelles, etc. Il faut aujourd’hui aborder des (im)mobilités intriquées se produisant dans des espaces disjoints mais reliés par de multiples canaux. Dans un tel cadre, ni la mobilité ni l’espace ne peuvent être réduits à leurs déclinaisons physiques. Nous proposerons donc de reconsidérer ces concepts pour revenir aux origines des usages sociologiques de la notion d’espace. L’espace est le résultat d’un processus de spatialisation, c'est-à-dire de structuration d’une réalité (physique ou non) au moyen d’un système de positionnements. Nous terminerons donc sur un appel à la prise en considération des mobilités comme à la fois physique et non physiques, comme clé d’une compréhension des mobilités changeantes, mais aussi des changements par les mobilités.