Les Harmoniques du Terrier (original) (raw)
Revue de la Société des Études Germaniques £ ^ ^Didier LES HARMONIQUES DU « TERRIER » Comme l'a souligné Marthe Robert, les voies qui mènent à l'interprétation de Kafka sont peut-être trop nombreuses les différents facteurs,-psychologiques, sociologiques, religieux, esthétiques, etc.-, qui en conditionnent i.-cès formant un ensemble tellement complexe que chaque discipline ]^out également prétendre à l'annexer. Cette richesse quasi indéfinie, cette polysémie ont été à l'origine de nombreuses tentatives d'élucidation, dont il n'est plus possible aujourd'hui de percevoir les résultats qu'au travers d'une imposante bibliographie. L'oeuvre en a quelque peu souffert dans la mesure où, incessamment glosée, elle a éventuellement perdu pour certains lecteurs une partie de son primitif et mystérieux pouvoir de séduction. Loin de se laisser appréhender au terme d'une approche spécifique, celui-ci ne déploie le plus souvent toutes ses irisations qu'après avoir été cerné simultanément de diverses directions, parfois contradictoires. La dernière nouvelle écrite par Kafka, selon Meno Spann^, Der Bau (1923-1924), offre en quelque sorte la synthèse de cette pluridimensionnalité. Ce texte admirable, mais inachevé', est réellement le prototype du texte équivoque, dans le sens noble du terme. Texte ouvert, d'abord, dont l'épaisseur sémantique prend, à mesure que progresse le travail de l'exégèse, des proportions vertigineuses. Pénétrer dans les profondeurs du Terrier, sonder la succession de ses strates superposées, c'est, comme le fait le paléontologue, redécouvrir les traces d'un monde enfoxii. Texte vu de l'intérieur ensuite, qui ne raconte évidemment pas une histoire, mais décrit l'émergence dans le chef du narrateur d'im processus de conscientisation. Texte remarquablement construit, enfin : de toutes les nouvelles de Kafka, il n'en est probablement pas qui soit plus concentrée. Aucun détail n'y est superflu ; tout y a une importance si essentielle que le lecteur a l'impression de se mouvoir dans cet espace souterrain selon un itinéraire compliqué, labyrinthique, impliquant ses propres rituels. Der Bau offre une constellation d'harmoniques dont 1. Introduction à ta lecture de Kafka (Paris 1946), p. 6-7. 2. « Die beiden Zettel Kafkas », Monatshefte (1955), XLVII, p. 321-328. Klaus Wagenbach, Franz Kafka. Die Erz^^^JÇt^HAFranMurt 1961], spécifie la fin 3. Pour la version allemande, voir Franz fka, Sdmtliche Erzdhlungen, hsg. von Paul Raabe (Frankfurt, Fisoher-Verlag 1972), p. 412-444. de 1923. ÉTUDES GERMANIQUES, AVRIL-JUIN 1976 165 le centre semble se situer au confluent d'une triple approche : thématique, biographique, textuelle.