Eloge de la boue (original) (raw)
Là encore nous avons à peu près la même proportion 15 / 85. A moins d'être un clampin, terme du Haut Jura, désignant un être particulièrement nonchalant, voilà bien un mot et une notion parfaitement indéfendable. Eh bien clampin je suis et je resterai, ne serait-ce que pour rendre hommage à nos amis suisses dont la lenteur est proverbiale et à mon ami Stringa, qui a montré dans la mise en route de ce colloque une lenteur particulièrement déconcertante, au point d'alerter de belles âmes transalpines qui ne voyant rien venir se désespéraient de ne jamais assister au désormais fameux colloque de Montreux. Pourtant nous y sommes, et je dois même en essuyer les plâtres. C'est donc que la lenteur a un secret. A moi d'essayer de vous le révéler, puisqu'il n'est pas question ici de mettre le feu au lac, mais bien de tenter en parfait Sophiste, de faire l'éloge de la lenteur et je suivrai de ce pas le grand Gorgias qui n'a pas craint de faire l'éloge d'Hélène une fameuse... ? Oui le Suisse est lent, n'en doutons pas, c'est sa gloire et sa fierté, et il le doit sans aucun doute à son activité laitière et fromagère, il le doit à la vache suisse. Je veux parler de la Brune Suisse, une des plus ancienne race au monde, vaillante et rustique qui peut évoluer à des altitudes de plus de 4 000 mètres. On pourrait la croire monochrome ; grossière erreur. Sa robe est chatoyante, passant aisément du gris foncé au gris argenté, son mufle brillant a la couleur de l'ardoise, ses cornes sont comme les bras d'une lyre. Bassin large, poitrine profonde, mamelles généreuses, elle peut produire jusqu'à 5 300 kg de lait par an. Bien moins qu'une Holstein, c'est sûr, cette vache hollandaise pisseuse de lait, nourrie aux granulés en stabulation libre et génétiquement modifiée. Mais peut-on comparer une vache, à ce qui n'est déjà plus une vache mais un machin ou une machine à faire du lait ? On dit même que la Brown Swiss est devenue la vache préférée des américains depuis qu'en 1869 ils en importèrent un peu plus d'une demi-douzaine. Enfin tout le monde connaît ici ces images colorées de montée à l'estive, de vaches enturbannées comme des jeunes mariées, et accompagnées de jeunes vachers en culotte de cuir, beaux comme des dieux. Vaillantes, elles ne craignent pas le combat pour conquérir le titre de Reine. Oui ces vaches sont des Reines, elles en ont le port, la grâce, la marche chaloupée.
L'autre voie, 2007
La route est contraste, la route est paradoxe qui irrigue le monde et fractionne les territoires. On la loue souvent car elle est l'image même de la liberté. On la remercie car elle apporte l'aventure et le rêve. On l'emprunte de plus en plus sans vraiment savoir à qui. On l'attend car elle serait synonyme de développement. On s'en méfie car elle apporte le changement. On l'aime dans des corps à corps sensuels où " on la prend " pour d'autres horizons. On enfourche parfois sa moto et on s'engage dans les courbes. On la maudit qui nous enfume d'un nuage de poussière. On la redoute et on la craint quand elle tue. On l'exorcise à coup de chapelets, de médailles de saint Christophe, de croix ou de temples. On la suit souvent car elle mènerait à Rome. On l'emprunte avec des compagnons qui prendront son nom. On la perd aussi comme un chemin. On peste contre elle quand elle charrie les nuisances. On atteint rarement le bout. Si le rêve persiste, la route a perdu de l'épaisseur, le voyage une part de sa magie et le territoire traversé de l'importance au profit du seul point d'arrivée. Effet tunnel garanti. La sortie de route s'impose. L'aventure est aussi au bord du chemin.