Des crises continuelles aux trajectoires continues : les transformations de la vie littéraire au Québec, 1895-1948 (original) (raw)

La vie littéraire au Québec, tome VI, 1919-1933

2011

Durant l’entre-deux-guerres, les partisans du régionalisme paraissent dominer toute l'activité littéraire. Toutefois, la grande presse, les magazines, les romans en fascicules puis, bientôt, la radio et le cinéma forment progressivement un marché culturel élargi, courtisant les jeunes et les ménagères, représentant le monde contemporain ou promettant l’aventure. Et c’est sans compter la poussée d’une jeune génération d’écrivains et d’écrivaines pressée d’en finir avec les vieilles querelles. Ils ont 25 ans en 1925, n’attendent pas leur tour et investissent la poésie, le roman, la scène, leur insufflant une bouffée d'air frais qui fait éclater les modèles traditionnels. L’espace littéraire des années folles à la Crise économique est ainsi marqué par l’affrontement de ces trois forces. De L’appel de la race à la Chair décevante, des éditions Édouard Garand à la radio de CKAC, d'Aurore l’enfant martyre aux Fridolinades, les pratiques se diversifient, et la littérature prend progressivement ses distances avec la religion et la politique. De ce bouillonnement émergent parfois des classiques, comme Un homme et son péché, qui traversent les barrières médiatiques et temporelles pour marquer de manière durable l’imaginaire collectif. La vie littéraire au Québec est d’abord conçue comme un outil de référence scientifique qui tente de cerner le fait littéraire non seulement grâce à l’examen des textes eux-mêmes, mais aussi par l’analyse du processus de leur production et de leur réception. Cette histoire littéraire traite des mouvements et des tendances autant que des œuvres et des auteurs singuliers.

Les après-guerres en littérature québécoise et le bouleversement des consciences

Études canadiennes / Canadian Studies

examinés. Une attention particulière sera portée à la contamination du mal, aux crimes perpétrés par le proche et à la transmission des mêmes jeux sordides de déshumanisation. En littérature, ces configurations mémorielles s'éprouvent toutes dans la zone de l'affect afin de replacer dans la mémoire collective, celle des âmes blessées pour éviter l'effacement, la banalisation ou la muséification des drames de guerre privés. On montrera comment l'oeuvre mémorielle, autobiographique ou imaginaire, est complémentaire des autres formes de commémorations mettant un visage sur les victimes anonymes. Memories of war will be discussed in Quebec literary production of Jean-Jules Richard, Jacques Folch-Ribas, Tecia Werbowski, Aki Shimazaki, Wajdi Mouawad and Rawi Hage. Special attention will be paid to the contamination of evil, the crimes committed by friends and the transmission of the same sordid games of dehumanization. In literature, these memory configurations, all in the area of affect, intend to include in collective memory the affect of injured individuals in order to avoid deletion, trivialization or the museumification of the private tragedies of war. We will show how literary works around memory, autobiography or remembrance, are complementary to other forms of commemorations putting a face on anonymous victims. Dans notre ère d'excès d'information et de mémoire, voire de saturation, le danger, affirme Régine Robin, est la « mise entre parenthèses d'un passé proche, mais non pensé, non critiqué, non décanté » (ROBIN 2003 :19), d'où l'importance de raconter, presque sur le vif ou des décennies plus tard, « des mémoires blessées, précaires, des passés impensés, insensés » (ROBIN 2003 :23) pour éviter l'effacement. Dans La transparence du mal, Jean Baudrillard évoque ce danger de la destruction des traces : « Nous sommes en train d'effacer tout le XXe siècle. Nous sommes en train d'effacer un à un tous les signes de la Deuxième Guerre mondiale et ceux de toutes les révolutions politiques ou idéologiques du XXe siècle » (cité dans ROBIN 2003 :22). Dans cette étude, il s'agira d'examiner les souvenirs de guerre dans la production littéraire québécoise, de la Deuxième Guerre mondiale dans Neuf jours de haine de Jean-Jules Richard publié en 1948 à la guerre civile libanaise dans Parfum de poussière (2007) de Rawi Hage, traduction de De Niro's Game, publié en 2006. Entre ces deux dates, j'ai aussi retenu quelques ouvrages où il est question de guerre ou plutôt de l'effet de la guerre sur l'être humain, notamment Paco de Jacques Folch-Ribas (2011) dont l'action se situe durant la

Sexuation, espace, écriture. La littérature québécoise en transformation

2002

hommes, écart qui pourrait se résumer dans le passage suivant : « Immobiliser la femme : le but de son histoire à lui. Échapper à l'immobilité : le dé/but de son histoire à elle ». ªuvre à relire, donc, pour mesurer l'évolution de la littérature québécoise tant masculine que féminine : fait-elle place volontiers maintenant à la femme-sujet ? C'est à voir. (LUCIE JOUBERT)