Quand le territoire est un espace construit par la langue ou : quelles conséquences pour la revitalisation des langues post-vernaculaires ? (original) (raw)

QUAND LE TERRITOIRE EST UN ESPACE CONSTRUIT PAR LA LANGUE Ou quelles conséquences pour la revitalisation de langues postvernaculaires ?

Les Cahiers du GEPE, 2016

Dans cette communication, la thématique « langue et espace » est contextualisée dans une étude sur les pratiques sociales de la revitalisation de deux langues en danger, le rama au Nicaragua et le francoprovençal en Rhône-Alpes. En abordant la revitalisation linguistique comme un processus social, c'est-à-dire comme «la manière dont les acteurs inventent, réinventent, négocient et construisent le concept de langue dans un contexte historique donné, au sein des rapports de pouvoir en vigueur et en lien avec une certaine interprétation du changement social » (Duchêne 2009, p. 135), le lien entre langue et espace émerge autour de la construction de la notion de territorialité et du rôle de labélisation donné à la langue. Le cadre théorique sur lequel je m'appuie pour associer espace et territoire repose sur une approche géographique de la notion, qui définit le territoire comme un espace construit par les actions et les discours des sociétés, comme « un agencement de ressources matérielles et symboliques capables de structurer les conditions pratiques de l'existence d'un individu ou d'un collectif et d'informer en retour cet individu et ce collectif sur sa propre identité » (Debarbieux, 2003 : 489). Dans le cas du rama et du francoprovençal, une des ressources symboliques mobilisées pour construire le territoire est la langue. Celle-ci est l'objet d'une construction sociale spécifique par son statut de « langue en danger », autrement dit par la perte de sa fonction conversationnelle usuelle. Ainsi, je postule que l'émergence d'une problématique territoriale qui se distingue par la mise en discours d'une territorialité basée sur la reconnaissance de la langue dans un processus social de revitalisation est rendue possible par l'objectivation de la langue comme ressource symbolique. Cette objectivation est elle-même issue de la nouvelle fonction sociale de ces langues, une fonction essentiellement démonstrative qui remplace la fonction communicative. Le propos est donc de regarder comment la langue participe de la construction des territoires dans le cas du rama et du francoprovençal, et dans quels contextes sociohistoriques spécifiques cette construction prend forme. Je montrerai comment la langue devenue une ressource symbolique est négociée pour labéliser l'espace lui conférant ainsi une valeur authentique et une existentialité, le constituant en territoire. Mais, le déplacement de la fonction conversationnelle d'une langue vers une fonction démonstrative ou sa disponibilité pour un marché de l'authenticité n'est pas sans conséquences sur les pratiques sociales de la langue et questionne l'utilisation de cette ressource symbolique dans le processus de revitalisation. Émergence de la problématique territoriale au Nicaragua chez les Rama et en Rhône-Alpes pour le francoprovençal Contexte sociohistorique de la probleḿatique linguistique du rama L'origine de la problématique territoriale pour le groupe ethnique amérindien des Rama au Nicaragua s'inscrit dans le contexte ethnolinguistique du Nicaragua qui renvoie à la complexité d'une société plurilingue et pluriethnique issue de la colonisation espagnole ayant laissé pendant des siècles la côte atlantique du pays aux mains des entreprises commerciales britanniques ou étatsuniennes. L'ethnie majoritaire du pays est celle des Mestizos, descendants des colonisateurs européens et des peuples autochtones. Ils parlent l'espagnol nicaraguayen, langue officielle du pays et langue d'enseignement. A l'est, la région de la côte atlantique est peuplée de groupes ethniques précolombiens, les Miskitus, les 1 Recherche doctorale sur les pratiques et les discours de la revitalisation du rama et du francoprovençal effectuée entre 2010 et 2014 (Pivot 2014b) et la collecte de données sur le terrain francoprovençal entre 2014 et 2015.

De « langue régionale » à « langue de France » ou les ombres du territoire

Glottopol, 2020

Les désignants « langue régionale » et « langue de France » réfèrent d'emblée à l'implantation proprement territoriale de langues. Il s'agit de langues qui s'inscrivent historiquement, depuis une durée plus ou moins significative, voire courte comme, par exemple, pour le hmong en Guyane, initialement langue d'immigration diasporique récente. L'adjectif « régionale » qualifie telle langue selon un mode géographique en se référant à une portion infraterritoriale d'un État, ici la France. « De France » opère dans le même sens puisque la France est un territoire avec ses frontières mais en apportant une nuance politique, celle de l'appartenance à la fois fractionnelle-une des langues de France-et une acception plus large que celle qui découle de l'inscription spatiale. De fait, à ce sème-là s'ajoute celui, plus abstrait, de la partie constitutive, qui n'est pas forcément inscrite dans, justement, une « région ». Or l'identification de ces parties constitutives renverra alors à ce qui est entendu par « France », avec ses tenants d'histoire et de culture politique, par les concepteurs de la notion de « langue de France », toutes choses dont nous allons tenter une approche dans ce qui suit.

Revitalisation d'une langue post-vernaculaire en pays rama (Nicaragua)

Langage et société, 2013

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L'architecture vernaculaire dans l'aménagement du teritoire en Nouvelle-France: médium de communication ou adaptation au milieu?

Peu de fouilles archéologiques ont été effectuées dans la vallée du Saint-Laurent sur des sites ruraux occupés pendant le Régime français. Toutefois, les quelques données récoltées au cours de ces travaux ont permis d'obtenir des informations précieuses sur l'architecture vernaculaire en Nouvelle-France. L'examen de ces établissements a révélé l'existence de plusieurs types d'aménagements architecturaux distincts, qui devaient répondre à des préoccupations différentes. Mais ces préoccupations étaient-elles d'ordre strictement utilitaire et adaptatif, ou plutôt d'ordre social ou idéologique ? En fait, l'architecture vernaculaire en Nouvelle-France a-t-elle été utilisée comme médium de communication, et si c'était le cas, quel en était le message ? La comparaison de quelques sites archéologiques de la vallée du Saint-Laurent avec les principaux types d'architecture française semble démontrer que, bien qu'utilitaires et inspirés de la métropole, ces établissements pouvaient parfois servir à afficher le rang social de leur propriétaire.

Les langues minoritaires ou le sauvetage impossible. Le cadre politique de la revitalisation

2006

A great number of languages is about to disappear, but if language shift conditions are well known by the sociolinguists, the reversing language shift ones are not so clear. The valencian, Lluis Aracil, and Joshua Fishman have tried to outline a theory in which language maintenance passes through political independance. Effectively, many examples show that, first, many countries have saved their language thanks to independance and, secondly, that even a more or less large autonomy of dominated communities is unable to definetly secure threatenened languages. But now, the achievement of political independance is almost impossible and unsuitable, and neither is a total guarantee for language maintenance. That means that complete reversing language shift in mainly impossible, that probably many threatened languages will disappear, and that sociolinguists still have to investigate the best conditions to save at least partially the languages that can still be so.

Une langue pour territoire, une autre pour mémoire

Ils nous demandèrent d'oublier et nous oubliâmes effectivement […], voyageurs semblables à Ulysse mais qui, contrairement à lui, ne savent pas qui ils sont. » Hannah Arendt, « Nous autres réfugiés ». Jusqu'en 2002, Nutih Aviv n'était réellement connue que comme la première femme en France à être devenue chef-opératrice 1 . Depuis, trois « essais documentaires »selon son expression -, Vaters Land (2002), D'une langue à l'autre (2004) et Langue sacrée, langue parlée (2008) l'ont révélée comme une cinéaste majeure. La trilogie 2 fait, en effet, de la langue, perdue ou trouvée, ressuscitée ou défigurée, le sismographe des arrachements territoriaux et des mouvements de reconfiguration identitaire d'un XX e siècle dont l'emblème serait la figure du réfugié. En considérant la langue -et, singulièrement, l'hébreucomme le théâtre d'une mémoire indissociablement intime et collective, mais aussi comme le lieu de l'exil anthropologique du sujet, Nurith Aviv, semble emboîter le pas d'Hannah Arendt : « Pour la première fois, l'histoire juive n'est pas séparée mais liée à celle de toutes les autres nations. » (Arendt, 1987 : 76)

Langue et territoire. Autour de la géographie culturelle

1995

Langue et territoire Autour de la géographie culturelle Claude Raffestin Il est évidemment regrettable qu'au fil du temps la géographie se soit ajoutée une série toujours plus grande d'adjectifs qui révèlent moins des structures nouvelles de pensée que des contenus phénoménaux dont l'expression ne prend de valeur qu'à travers une cartographie plus axée sur la localisation que sur l'explication. L'instrument cartographique, d'auxiliaire est devenu principal, reléguant à l'arrière-plan la pensée géographique qui est ainsi dévorée par sa représentation: c'est en quelque sorte la revanche de la visualisation sur la conceptualisation. En d'autres termes, la géographie ne semble exister que par la prise en compte des distrihutions spatiales superficielles et non pas par la mise en évidence de systèmes relationnels explicatifs du visualisable. Elle est affectée d'une terrible inversion de la pensée qui conduit à distribuer du phénoménal dans l'espace qui invente une relation qui s'épuise immédiatement dans la représentation. Les phénomènes culturels localisés, la culture étant prise, ici, au sens anthropologique, n'indiquent, a priori, aucune autre relation que celle d'une présence ou d'une absence. Celle-ci et celle-là doivent encore être interprétées de manière à savoir si, effectivement, le lieu et ses caractéristiques entretiennent des relations avec le phénomène considéré en tant qu'il est présent ou qu'il est absent. Une géographie des phénomènes culturels peut-elle être autre chose qu'une visualisation représentative de la distribution des langues, des religions, des arts, des littératures ou encore d'autres phénomènes tels que ceux relevant des jeux, de l'alimentation ou que sais-je encore? La question n'est pas superflue car elle engage la crédibilité et la légitimité de toute une discipline. Théorie et géographie culturelle En effet si la géographie est conçue comme une localisation alors elle n'est pas autre chose qu'une cartographie, donc une sorte de topologie. C'est un peu comme si de l'histoire on ne retenait que sa chronologie: elle

Domaines de spécialités : des territoires linguistiques

2018

Linguistic variation in different geographic areas gives birth to dialects or regionalisms pertaining to the same language. Beyond this geophysical space, we propose to consider the domains of human activity as territories where specialpurpose languages occur and where terms take on particular and specific meanings. To do this, we will follow the migration of a number of terms from common language or another specialty area to that of health in Julakan (a language spoken in Burkina Faso). Our analysis reveals the new meanings that certain Julakan words acquire through metaphor or metonymy, by migrating in the field of health, as well as some of the stakes related to this intralinguistic migration process.

Désir de langue, subjectivité, rapport au savoir : le cas de la revitalisation des langues très en danger

Revue TDFLE, 2019

Cet article porte sur le contexte particulier de l'enseignement de langues menacées de disparition. Il est basé sur des observations de terrain, en France, au Nicaragua et en Oregon, de langues en danger (LED), et plus particulièrement de langues très menacées. Dans les cas les plus favorables, il reste aujourd'hui quelques locuteurs âgés, mais le panel des situations sociolinguistiques prises en compte s'étend jusqu'aux cas de langues qui ne sont plus parlées, langues qualifiées de « dormantes » (dormant or sleeping languages dans la littérature en anglais). Sur chacun de ces terrains, des projets de revitalisation sont en cours, et ils intègrent un volet sur l'enseignement de ces langues. Le propos de cet article est de montrer, à travers l'analyse contrastive de ces différents contextes sociolinguistiques, que l'enseignement de LED présente d'importantes spécificités par rapport aux situations d'enseignement de langue plus classiques, spécificités encore accrues pour les langues très menacées ou dormantes. L'analyse de ces situations interroge nécessairement la figure et le rôle du sujet, apprenant ou enseignant, acteurs engagés dans un projet collectif pour revitaliser la langue ancestrale, et attachés à elle par des liens affectifs et identitaires puissants et par un sentiment de responsabilité envers son avenir. Alors que l'usage quotidien de la langue a disparu, rendant quasiment impossible le recours à l'immersion pour l'apprentissage, l'observation des pratiques didactiques attestées localement amènent à questionner aussi la finalité de l'enseignement, les types de compétences à transmettre/apprendre ou le sens même de ce que signifie « parler » la langue pour les différents acteurs.