D. Carraz (dir.), Les ordres militaires dans la ville (1100-1350) (original) (raw)
Recueil des actes d'un colloque tenu à Clermont-Ferrand en 2010, cet ouvrage part, si l'on veut, d'un malentendu historiographique qui a tendu à considérer que les ordres religieux militaires se sont implantés prioritairement en zones rurales sans qu'une étude globale sur les liens qu'ils ont pu établir avec les milieux urbains n'ait jamais été tentée. Dans sa copieuse introduction générale, Nikolas Jaspert ne manque donc pas de rappeler quelques évidences souvent passées sous silence pour rappeler le lien intrinsèque noué entre les Templiers et Jérusalem et souligner que l'ordre du Temple fut donc, à l'origine, un ordre urbain, de même que les Hospitaliers et les Teutoniques dont la titulature officielle comporte une référence explicite à la cité sainte. La fondation de tels ordres s'inscrit d'ailleurs dans un contexte d'essor urbain qui en constitue l'arrière-plan et il était en outre inévitable que des ordres possédant une vocation charitable, à l'instar des Hospitaliers, privilégient une implantation urbaine. Il paraît ainsi patent à Nikolas Jaspert que le rôle qu'ils ont pu jouer en termes d'urbanisation, notamment par le biais de lotissements, reste sous-estimé d'autant que les commanderies ont pu par la suite devenir le point nodal de nouveaux quartiers que les ordres militaires avaient contribué à faire surgir de terre, et ceci sans même avoir besoin de recourir au cas tout à fait exceptionnel d'Acre ou d'une ville comme Rhodes. L'auteur invite aussi à ne pas trop se focaliser sur les premiers temps de l'implantation et à prendre au contraire en compte les évolutions qui se dessinent aux XIV e et XV e siècles et paraissent rapprocher plus encore les ordres militaires des milieux urbains. Toutefois s'il considère que ces ordres étaient bien implantés dans la société urbaine, il se garde bien d'appeler à un renversement total de perspective : les ordres militaires demeurèrent plus ruraux qu'urbains et leur économie se fondait en premier lieu sur l'existence de commanderies tirant l'essentiel de leurs revenus de leurs possessions rurales. Damien Carraz préfère, toutefois, envisager les choses sous une autre perspective en montrant comment ces ordres ont pu constituer un jalon entre l'ordo monastique ancien et des expériences religieuses nouvelles, notamment celles que devaient représenter les ordres mendiants -sur lesquels revient, dans une perspective comparatiste, Ludovic Viallet. Soulignant tout d'abord que plus de la moitié des commanderies se situent dans un contexte urbain où trouvait mieux à s'exprimer la mission caritative d'ordres qui n'ont pas qu'une vocation militaire, Damien Carraz note que l'absence de stabilité et le caractère laïc des Templiers ou des Hospitaliers sont autant de traits qui les rapprochent de ce que devaient être les ordres mendiants et que, précisément, leur statut de laïc explique leur facile intégration au sein de la société séculière. Autre trait qui les distingue de cet ordo monastique ancien, une « vision universaliste qui (…) tranche avec l'horizon le plus souvent local des monastères traditionnels » (p. 44), ce qui incita les ordres militaires à inventer des structures institutionnelles à la hauteur de leur expansion géographique et à « façonner une appréhension globale du monde » (p. 44) qui est aussi l'une des clefs de compréhension de leur réussite économique. Non contents d'être des acteurs essentiels de cette nouvelle économie d'échanges, les ordres militaires ont aussi marqué le paysage urbain à la fois par la construction de bâtiments et le lotissement de quartiers neufs -comme celui de la Villeneuve du Temple à Paris -mais aussi par leur participation au contrôle social de la population par le biais de l'exercice des droits de justice ou encore par leur rôle de médiateurs. Damien Carraz note d'ailleurs que les milieux des donateurs qui, en milieu urbain, favorisent au XII e siècle l'implantation des ordres militaires sont exactement identiques à ceux qui, au siècle suivant, se tournent vers les ordres mendiants. Le soutien apporté par les élites urbaines -notamment les milieux consulaires dans le Midi de la France et en Italie du Nord -est aussi le signe que Templiers et Hospitaliers faisaient partie intégrante du paysage urbain médiéval.