"S'émouvoir des animaux", Alain Corbin et al. (dir.), Histoire des émotions, Paris, Seuil, tome 3, 2017, p. 165-181. (original) (raw)

L’effroi de l’animal (publié in L’Animal littéraire : des animaux et des mots, Éditions Universitaires de Dijon, 2010, p. 15-23)

On convient généralement que la connaissance de soi passe par la médiation de l'autre, c'est-à-dire d'un autre homme ou des autres, et la célèbre dialectique de la reconnaissance telle que la thématise Hegel est à cet égard exemplaire. Seulement, et c'est aussi ce que montre cette dialectique, une telle certitude de soi implique la certitude d'être plus qu'un vivant. Car ce serait en montrant à l'autre que je suis capable de mettre ma vie en jeu et de risquer la mort, que je peux suspendre ce qui détermine essentiellement tout vivant, c'est-à-dire l'attachement à la vie, que je témoignerais de mon humanité. En d'autres termes, cela signifie que l'humanité se décide en quelque manière au-delà de la sphère du vital ou du biologique, et qu'il n'y a, pour l'homme, pas d'autre altérité que celle des autres hommes. Dans une telle perspective, il serait tentant de laisser à la génétique, à la zoologie et à l'éthologie, le soin d'élaborer un savoir positif de l'animal, en considérant qu'il s'agit là de disciplines qui ne sauraient être confondues avec l'anthropologie. C'est donc uniquement pour mieux discerner ce que nous sommes par contraste avec ce qu'il est 1 , c'est-à-dire au regard de ce qui nous en sépare, que se justifierait la considération de l'animal. Mais cela n'implique pas que l'on considère pour autant l'animal pour lui-même.

Vers l'humanisation des figures animales la place des émotions dans « Cabo de Hornos » de F. Coloane

2017

À l'heure actuelle, les émotions des animaux sont invoquées comme argument pour prôner l' égalité de considération entre tous les êtres sensibles (voir notamment les ouvrages utilitaristes de Peter Singer). Le présent article aborde cette problématique par le biais de la littérature : selon quelles modalités les émotions représentées et suscitées par des personnages littéraires peuvent-elles exprimer la porosité de la frontière traditionnellement établie entre êtres humains et animaux ? Afin d' ébaucher une réponse à ce questionnement complexe, nous proposerons, comme cas d' étude, l'analyse du recueil de nouvelles Cabo de Hornos/Cap Horn (1941) de l'auteur chilien Francisco Coloane, qui peut être considéré comme précurseur pour sa mise en scène réaliste de protagonistes animaux éprouvant des sentiments.

"Introduction. Avec quoi penser les animaux ?", Éric Baratay (dir.), Aux sources de l'histoire animale, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, p. 7-14.

Aux sources de l'histoire animale, 2019

Passer et penser du côté des animaux sont devenus deux nécessités urgentes dans les études animales en sciences humaines et sociales. Ce volume, première moisson d'un programme scientifique collectif 1 , a pour but d'encourager, accompagner, développer ce tournant des regards, engagé en ces années 2010. Commencées dès les décennies 1970 et 1980 dans les pays anglophones et en France, ces études animales, d'abord moquées, contestées, minorées, sont devenues une entreprise scientifique légitime, maintenant reprise et développée dans tout le monde occidental 2. Du fait de la formation initiale des chercheurs, la plupart des travaux ont logiquement porté sur les utilisations humaines des animaux, les actions envers ces animaux et surtout les représentations, en raison de l'engouement des sciences humaines et sociales pour les lectures culturelles depuis les années 1990 3. Aussi, les études en disent-elles long sur les hommes, mais finalement très peu sur ces bêtes qui sont absentes ou transformées en prétexte sur lequel s'exerceraient sans conséquence les représentations, les savoirs, les pratiques des hommes. L'histoire, l'ethnologie, la sociologie, la géographie développées depuis trente ans à propos des animaux sont des histoires, des ethnologies, des sociologies, des géographies humaines des animaux, où ceux-ci n'ont guère de place. Cette approche apporte beaucoup, il ne s'agit pas de la nier ou de la dévaloriser, mais elle a l'inconvénient de créer un trou noir au centre du propos (les animaux en tant qu'êtres réels, ressentant et agissant) et donc celui d'appauvrir le thème pourtant dialectique de la relation entre des hommes et des animaux, de le réduire à un champ à pôle unique (les humains) et à sens unique É. Baratay (dir.), Aux sources de l'histoire animale,

Damien Boquet, "Les passions du salut dans l'Occident médiéval", dans G. Vigarello (dir.), Histoire des émotions. 1 De l'Antiquité aux Lumières, Paris, Seuil, 2016, p. 153-178

L'amour de Dieu et du prochain, la douleur et la honte du péché, la peur de l'enfer, le dégoût des affaires du monde, l'espoir de la rédemption : il n'est pas excessif de dire que le christianisme médiéval a été une religion du salut par les passions. C'est à partir du XI e siècle que cette potentialité émotionnelle commence à imprégner en profondeur les sociétés occidentales dans une évolution conjointe de l'institution ecclésiastique et des sensibilités religieuses.