Deux nouveaux commentaires du livre Λ de la Métaphysique d’Aristote (original) (raw)

2020, Philosophie antique

Dans le livre Λ de la Métaphysique, en accord avec sa thèse fondamentale de la primauté ontologique de l'individu sur l'universel, Aristote refuse d'attribuer le statut de substances immatérielles et de principes premiers de la réalité aux Formes platoniciennes et aux Nombres de la tradition académicienne. Il croit que ces principes platoniciensselon lui des universels privés de vie-doivent être remplacés par une série d'êtres vivants, d'individus doués d'intelligence, en activité continue et éternelle et capables d'éprouver du plaisir dans leur activité même. Cette thèse l'amène à bâtir une hiérarchie baroque-à nos yeux assez étrange-d'êtres animés, matériels, constitués du corps premier-l'éther-, intelligents et capables d'aimer, doués de mouvement éternel, mus par autant d'êtres vivants immobiles, immatériels, simplement actifs et se pensant eux-mêmes, et qui sont des objets d'amour pour les premiers. Ce genre d'êtres vivants immatériels est analysé dans le livre Λ de la Métaphysique. À un moment donné, Aristote attribue à ces êtres le statut traditionnel de la « divinité », au sens grec de l'immortalité et de la perfection. Le choix de concevoir les premiers principes de la réalité comme des individus vivants, et de poser l'un d'entre eux comme premier de quelque sorte, supérieur aux autres, a rendu possible par la suite l'appropriation de la « théologie » aristotélicienne de la part de philosophes adeptes des religions monothéistes, même s'il est clair que la conception aristotélicienne de la divinité est profondément influencée par le polythéisme traditionnel. En effet Aristote, probablement dans le but d'éviter l'accusation adressée à Socrate-introduire de nouveaux dieux dans la cité-propose une identification partielle de ces individus avec les divinités traditionnelles, suivant ainsi une voie déjà empruntée par Platon dans le Timée (40a-41a) et dans le livre X des Lois (899b), (1074a38-b14). La question ei estin, s'ils existent, au sujet de ces êtres divins, ne suscita pas un intérêt particulier dans le monde antique, puisque la réponse d'Aristote rejoignait l'opinion commune que les dieux existent réellement, opinion partagée, à quelques exceptions près, à la fois par les masses et par les hommes cultivés. En revanche, la solution de la question ti estin, « qu'est-ce qu'ils sont? », proposée dans le livre Λ, fut déjà discutée dans le Peripatos. Nous reviendrons sur cela. Par contre au Moyen Âge et à l'âge moderne l'attention se concentra surtout sur la première question, ei estin. En effet, la question de savoir s'il existe une substance individuelle immatérielle et éternelle qui soit cause première du devenir de l'univers, fut perçue comme une première ébauche de l'un des arguments traditionnels pour démontrer l'existence de Dieu-le dieu de la tradition