Le jeune Canguilhem, lecteur de Bergson (1927-1939) (original) (raw)

Georges Canguilhem et les professeurs de philosophie

Le Télémaque, 2018

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« Ne lisez pas Bergson ». Le fantôme de la bibliothèque surréaliste

HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2020

On sait quel sort fut réservé à Anatole France, prix Nobel de littérature en 1921, patriote et auteur à succès. La mort de l'écrivain, le 12 octobre 1924, déchaîna la verve polémique des surréalistes, exercés depuis les manifestations dada et le « procès Barrès » dans l'art de déboulonner les idoles. Le tract « Un cadavre », daté du 18 octobre 1924, qui commence comme un hommage et se termine comme un libelle fait défiler à la tribune les jeunes poètes de l'avant-garde qui l'un après l'autre rappellent les chefs d'accusation au fil de leur évocation 1. Écrivain au « langage universellement vanté » qui « permet à la première gouape venue de s'écrier : 'Comment n'y avaisje pas pensé plus tôt !' », génie littéraire devant la prose duquel « tous les tempéraments femelles se pâment » et qui incarne « la ruse, le traditionalisme, le patriotisme, l'opportunisme, le scepticisme, le réalisme et le manque de coeur », maître à penser de toute une génération qui « recueille ses moindres mots, […] étudie à la loupe ses moindres phrases et […] bêle : "Comme c'est beau..., mais c'est magnifique, c'est splendide !" », Anatole France est l'auteur à la mode, le nouveau Voltaire, quand les poètes réclament de « nouveaux Rousseaux » ; le parangon de l'homme civilisé, quand les poètes veulent être, à la suite de Rimbaud, « barbares ». En bref, Anatole France est à la littérature, ce qu'Henri Bergson est à la philosophie. Il suffit de relire la presse populaire de l'époque qui décrit par le menu la manière dont le tout Paris se presse pour entendre au Collège de France les cours du « célèbre professeur », nouvelle idole des « snobinettes » férues de métaphysique et organisatrices de « five o'clock bergsoniens », cet « inventeur génial du "subconscient" » 2 , pour comprendre ce qui pouvait rapprocher les deux hommes, nés en 1844 et en 1859 qui, au moment où se forment l'esprit et les goût des jeunes poètes (Aragon et Soupault sont nés en 1897, Breton en 1896), sont au faîte de leur gloire. Peut-on s'étonner, dès lors, que le jeune André Breton, devenu en septembre 1920 relecteur pour les éditions Gallimard, en charge des épreuves du Côté de Guermantes, ne remarque pas la coquille qui transforme « Bergotte », personnage inspiré d'Anatole France, en « Bergson » 3 ? De fait, le nom de Bergson suscite rapidement le mépris des surréalistes qui, héritiers d'un esprit potache qu'ils trouvent chez Jarry 4 , s'amusent à jouer eux-mêmes les professeurs en notant de-25 à + 20 les « noms célèbres » de la littérature qui constitue par antiphrase, rappelons-le, le nom de la revue au sein de laquelle s'élabore en 1920 le surréalisme, dans l'ombre de Dada. « Voulant en finir avec toute cette gloire », les poètes entendent donc « décerner à chacun les éloges qu'il mérite » 5. À ce jeu-là, France atteint des profondeurs que n'atteint pas le philosophe. Le premier, noté presque unanimement-25 obtient une moyenne générale de-18, Bergson, sauvé par un 20 que lui décerne Drieu la Rochelle et un 13,5 attribué par Théodore Fraenckel, s'en sort avec un-6,40 6. Dix ans plus tard, les surréalistes récidivent. La célèbre couverture publiée au dos du catalogue des oeuvres surréalistes des éditions José Corti adresse à ses lecteurs une double

Canguilhem, père de l'éthique contemporaine?

La pensée de Canguilhem dans Le Normal et le Pathologique est-elle une anticipation éthique de la relation soignant-soigné ? Le philosophe et médecin serait donc aussi un visionnaire en avance sur son temps, défenseur précurseur d'une éthique médicale novatrice et théorisée. "Anticiper", cependant, n'est pas le synonyme parfait de "devancer" : il intègre également une idée de continuité logique, de construction séquentielle. Plutôt que chronologique (et associé à une rupture dans la ligne du temps), le terme évoque alors une dynamique causale, un lien de cohérence entre fondement et développement. L'"anticipation éthique" s'entend alors comme prodrome de l'éthique elle-même, l'éthique avérée et qui se revendique comme telle. Il vient alors un questionnement qui se rapporte à la volonté de l'auteur plutôt qu'au positionnement de son oeuvre dans le continuum chronologique. Autrement dit, dans Le Normal et le Pathologique, Canguilhem veut-il déjà proposer une éthique de la relation soignant-soigné ? A la manière de Luther King, aurait-il "rêvé" l'éthique? Ou au contraire, sa pensée aboutit-elle à son insu à une éthique médicale "officielle", c'est-à-dire établie comme telle ?

La biophilosophie de Georges Canguilhem

Georges Canguilhem est connu comme épistémologue des sciences de la vie. Il est moins réputé en dehors des cercles d'amateurs spécialisés comme vitaliste « encarté » (en employant cette formule, nous songeons à celle, peut-être un brin provocatrice, employée par Canguilhem en discussion avec Michel Fichant : « je suis un nietzschéen sans carte »). Nous examinerons ici sa contribution à une « biophilosophie » qui ne se contenterait pas de se situer trop strictement dans l'une des deux orthodoxies classiques et tenaces que sont le réductionnisme et le holisme.

Canguilhem et l'art

Canguilhem est avant tout connu pour ses travaux d’histoire des sciences et de la médecine, mais qu’en est-il de ses considérations en esthétique ? Dans son article Réflexions sur la création artistique selon Alain paru dans le numéro 2 de la revue de métaphysique et de morale en 1952, il expose un auteur qu’il l’a influencé mais dont il s’est démarqué à cause de son manque de sens historique (qui s’est avéré problématique durant la deuxième guerre mondiale) : Alain. Nous trouvons des éléments de critique de ce manque de sens historique dans cet article, notamment lorsque Canguilhem oppose l’immobilisme d’Alain au mouvement bergsonien. Mais exposer la pensée d’Alain est surtout l’occasion pour Canguilhem de se confronter à un problème important en philosophie de l’art : Comment peut-on faire de la philosophie de l’art sans déprécier ce dernier, sans le réduire à d’autres choses ? Il répond qu’il faut « comprendre l’art en tant que fonction originale de l’esprit, fonction de production universelle ». Finalement, nous découvrons que Canguilhem utilise le même type de raisonnement que dans Le normal et le pathologique sauf qu’il n’est pas question de revaloriser la médecine en tant technique, mais l’art en tant que technique, afin qu’il ne soit pas considéré comme la simple application de la science. Alain lui permet d’exposer cette idée, originale pour la philosophie de l’art, puisqu’il reconsidère l’art suivant son sens étymologique τέχνη et donc en tant que technique au sens de production. Cependant, un second problème se pose à Canguilhem dans cet article car Alain finit par nous donner une vision immobiliste de l’art. Il dépasse ensuite cette vision à l’aide de la pensée de Bergson (qu’il a reconsidérée après le Normal et le Pathologique ) qui ne condamne pas le devenir et qui lui permet d’aborder un sens métaphysique de la création.

Canguilhem et les psychologies. Sens, valeur et problèmes (1929-1940) - Mémoire Master 2 (2018)

2018

Juxtaposant Canguilhem et la psychologie, on pense immédiatement à la fameuse conférence de 1956 « Qu'est-ce que la psychologie ? », rendue célèbre par une réception qui, dans le contexte intellectuel et politique des années 1960 en France, en retiendra d'abord sa virulence critique. Cette réception qui s'est poursuivie jusqu'aux années 2000 a pris le nom de « critique canguilhemienne de la psychologie ». Ces travaux ont voulu montrer l'enracinement de cette critique dans « les écrits de jeunesse » de Canguilhem. On la trouverait, sous l'influence de la critique alanienne des pouvoirs et de la « soumission aux faits », à son état éthique et politique dénudé. La reprise de cette critique dans la forme et le style discursif de l'histoire et de la philosophie des sciences, à l'époque de la « maturité », n'en serait qu'un second habit de métier. Nous montrons que cette analyse rétrospective de la conférence de 1956 qui se fonde sur la lecture de quelques courts textes parus dans les Libres Propos en 1929 et 1930, exige d'être revue et augmentée à la lumière d'une plongée archéologique dans le millier de pages inédit que Canguilhem a consacré de 1929 à 1940, dans le cadre de son métier d'enseignant en classe de philosophie, à la reformulation des problèmes psychologiques fondamentaux et à l'évaluation de leur histoire philosophique et scientifique. Après un large aperçu de l'ensemble des cours de psychologie de Canguilhem dont on tente de montrer l'évolution des choix d'accents problématiques, on centre notre commentaire sur la place de la psychologie dans le Traité de logique (1939) et sur le premier chapitre du Traité de psychologie (1940) intitulé de façon significative « Qu'est-ce que la psychologie ? ». On ne peut plus dire à partir de là, qu'il n'y aurait pour Canguilhem au sein de ce champ problématique et disciplinaire, « rien à sauver ». Canguilhem est davantage qu'un général et unitaire « critique de la psychologie », un philosophe qui reformule pour son propre compte le problème de l'esprit, pour l'inscrire dans tout projet épistémologique et prendre parti au sein de l'histoire des disciplines psychologiques. Nous montrons ainsi qu'au fil des années 1929-1940, Canguilhem se montre fidèle aux psychologies intellectualiste et réflexive de Lachelier et Lagneau mais aussi, lecteur attentif de Freud, Bergson et Maine de Biran. La « critique canguilhemienne de la psychologie » pour être utile au moment présent doit être resituée à la place morale et philosophique qui lui convient au sein de ce vaste paysage historique et problématique. Se tourner vers l'étude de ses cours du second degré, son Traité de logique et son Traité de psychologie, participe de cet éclaircissement.

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Nicolas Caussin, lecteur de Longin

Le Torrent et la Foudre. Cicéron et Démosthène à la Renaissance et à l'Âge Classique, coll. "Renaissance latine, 5", Paris, Classiques Garnier, 2020. , 2020