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Importance de la "non-compositionnalité" pour le lexique Le point de vue qu'inaugure la citation du MI postule la "non-compositionnalité", c'est-à-dire la construction non-additionnelle des énoncés à partir d'éléments préexistants isolément, éléments "discrets", soigneusement rangés et répertoriés dans les cases du grand entrepôt mental. C'est même tout au contraire, le fonctionnement du langage qui construit et modifie peu à peu et de façon continue ce qu'on appelle le lexique. La méthode à même de rendre caduc tout recours à la compositionnalité devra procéder par "analyse descendante". Démontrer cette "non-compositionnalité" est un des tâches essentielles d'une linguistique à vocation phénoménologique. Et c'est bien dans cette optique que Cadiot et Visetti (2001 : 136-7) émettent l'opinion suivante : "Par delà tout enjeu d'élaboration intentionnelle du sens, cette diversité de degrés de stabilisations est aussi, on le comprendra sans doute mieux par la suite, un corrélat de la non compositionnalité des constructions, qui suppose, non un assemblage de parties toutes stabilisées au même degré, mais plutôt une cascade de profilages (js) plus ou moins poussés." où la vision d'une "cascade de profilages" ouvre effectivement la perspective sur des processus de construction du sens autrement plus puissants que la vision mécanique que nous en a donnée le fonctionnalisme. J'illustrerai cette opposition frontale avec le fonctionnalisme par ces citations de Denis Apothéloz (2002) : "Pour s'assurer si un segment d'un mot supposé dérivé est ou non un morphème, il faut d'abord se demander si ce segment se retrouve dans d'autres mots de la langue (...). Il faut également que le signifié du dérivé supposé résulte de la composition du signifié des morphèmes qui le constituent. Ce principe est connu sous le nom de compositionnalité." (23-4) "chemin de fer peut être reçu tantôt comme une totalité inanalysable, une expression figée renvoyant à un objet unique, tantôt au contraire comme l'assemblage de trois morphèmes, donc comme un complexe dont le signifié est compositionnel." (9) Et c'est bien en fonction de tout cela que Saussure, dans la citation du MI, complétée par celle du "globe des valeurs" a inauguré l'ère de la méfiance, de la mise à distance des "mots" comme éléments constituants, par avance individués et bien délimités. Ayant dit : "La pensée, (...) est décomposée, elle est répartie par le langage en des unités."), il serait doctrinaire ou dogmatique de dire d'entrée que ce sont les mots. Il va même jusqu'à choisir la solution d'éviter de parler de "mots", lui préférant le mot d'articuli, forgé pour la circonstance. Il en résulte que la non-compositionnalité est une clé essentielle pour accéder à une juste vue de la formidable créativité déployée par le langage. François Rastier a par exemple raison de dire (1991 : 206) : 23 "À ce paradigme dominé par la logique symbolique (...) s'oppose diversement depuis le début du siècle un paradigme structural, d'abord lié à la psychologie de la Gestalt, et qu'a illustré dans l'entre-deux-guerres la théorie des champs sémantiques (Trier, Porzig). Il ne subordonne pas le signifié au concept, refuse (implicitement) la compositionalité du sens, et admet la détermination du local par le global. (js)" On a là un raccourci du champ d'action de mon travail, mais en faisant le lien entre le MI et les champs sémantiques, tel que Jost Trier en a défendu et illustré la thèse. En outre, la Gestalt, pattern perceptif (mais pas seulement, il est aussi un pattern intellectif) est un outil indispensable qu'il est impératif de redéfinir pour le champ de la linguistique. 6. 5.-L'individuation est une "Gestalt" : la compositionnalité 1-Ce serait l'application la plus précieuse de la notion de Gestalt : mieux cerner l'individuation, dans son imbrication avec les unités de langue, ainsi que dans son devenir. Cela nous amènera à poser la question du statut et de la légitimité de la compositionnalité, laquelle suppose pour s'appliquer que les éléments sur lesquels elle porte soient individués, c'est-à-dire : rendus autonomes, afin d'être disponibles pour manipulations et opérations ultérieures. Or c'est une affirmation-restant implicite-de ses partisans fonctionnalistes : l'individuation des constituants est vue comme un donné naturel, allant de soi. C'est en s'appuyant sur ce présupposé que, par exemple, Hjelmslev présente conjointement le donné qui s'offre et le fait que l'individuation s'y trouve déjà (1966 : 157) : "la sémantique constitue en effet un domaine d'une part beaucoup moins étudié et d'autre part beaucoup plus vaste. Le contenu du langage, c'est le monde même qui nous entoure (js) ; les significations particulières d'un mot, ces significations particulières que nous avons appelées des individus, sont les choses même du monde (js) : la lampe que voici sur ma table est une signification particulière du mot lampe." Le principe pour discerner l'individué a été posé par Hjelmslev en ces termes (id. 150) : "Nous appellerons individu (js) une variation qui ne peut pas se diviser en variations (mais seulement en variétés). Nous dirons qu'une variété est localisée si elle ne peut pas se diviser en variétés (mais seulement en variations)." Serait donc à considérer comme porteur de la qualité "individu" ce qui ne peut plus luimême être divisé en parties plus petites. Cette attitude ne peut déboucher sur rien d'autre que sur la pure absurdité. Dans Choisir le mot juste, P. Dupouey prend le mot "individu" au sens "propre", c'est-à-dire le sens étymologique de "ce qui ne se divise pas" (2006 : 206) : "« individu » a d'abord un sens plus large, puisqu'il désigne toute réalité qui se perd par division. Un vivant est un individu. Même une pierre est, disent les philosophes, individuée : si je la divise, c'est toujours de la pierre, mais ce n'est plus la même pierre." 24 2-En réalité, Il faut voir la capacité à "individuer" comme une conquête de l'esprit dans sa marche à l'arrachement au concret, sa lente conquête de la faculté d'abstraction. c'est d'un tel arrachement que parle Lafont (page 54) comme "effort de l'espèce pour atteindre la rationalité abstraite" ; et c'est dans cet effort que "le thème s'arrache de l'endothème". La "capacité d'individuer" est donc le résultat d'un long et laborieux processus de maturation à l'issue duquel l'esprit humain dispose d'une structure de perception, une "Gestalt", laquelle a par exemple pu servir à construire la catégorie du nombre et la capacité, pour pouvoir énumérer, de "faire abstraction des qualités des termes individuels", comme le dit Piaget dans la citation qui suit. C'est un grand mérite de Piaget et de son équipe d'épistémologie génétique d'avoir mis en lumière la nature complexe de l'opération de numération comme synthèse de la sériation et de l'inclusion. La progression vers l'abstraction implique que certains stades soient franchis (1972 : 39-40) : "Ces diverses phases se retrouvent en particulier dans la synthèse du nombre entier à partir des inclusions de classes et des relations d'ordre. (js) Le propre d'un ensemble numérique ou dénombrable, pour ne pas dire numérable, par opposition à des collections simplement classables ou sériables, est d'abord de faire abstraction (js) des qualités des termes individuels, de telle sorte qu'ils deviennent tous équivalents." Un des points forts de Piaget est d'avoir assimilé et intégré dans son travail l'apport de la Gestaltpsychologie, théorie dont il fait un excellent résumé dans son autre opuscule paru dans la collection "Que sais-je ?", "Le structuralisme". C'est donc en m'appuyant sur tout cet acquis préalable-intégrant celui de la Gestaltpsychologie-que je me permets d'avancer l'affirmation que l'individuation est une Gestalt, c'est-à-dire une structure mentale préformée organisant la perception. 3-Il est heureux que ce soit du côté de la linguistique que de nouveaux éléments et arguments. dans le sens défendu ici aient été apportés. Le travail de Daria Toussaint-révélateur à mon sens d'une direction de recherche qui ne peut aller qu'en se renforçant-contribue à mettre en lumière cette nature de construction mentale de l'individuation, et ce en partant d'une analyse de la langue chinoise (2001 : 74) : 19 ."À l'opposé d'une propriété différentielle débouchant sur l'extensionnalité d'un référent discerné, ce qui prédomine alors en l'absence d'une opération d'individuation, c'est à un niveau uniquement qualitatif une propriété différentielle mettant en question les propriétés définitoires de la catégorie notionnelle, dans l'en deçà de l'objectalité". (js) Ce dont elle traite, la présence ou l'absence du classificateur zhe, n'est un problème de syntaxe que dans 19 une vision superficielle des choses, car en réalité il s'agit bel et bien des "Gestalts" que la langue met en oeuvre dans la dynamique des énoncés, lesquels procèdent-si j'ai bien lu Guillaume-de la puissance de la langue. Ce que la langue met ainsi en place, elle même (et elle seule) a la capacité de le "transgresser", d'où ce caractère facultatif de la particule qui est un marqueur, soutien d'énonciation. Mais cela ne revient pas à dire, comme beaucoup seraient tentés de le croire, que nous préconisons de faire le poirier... sans les mains ! 2-Gross amène un nouvel éclairage qui va dans le sens d'une prise en compte de cette dimension dite "intentionnelle" des actions, donc des verbes (2009 : 160) : "La finalité (js) implique de la part du sujet la maîtrise de son action, laquelle ne peut être que délibérée. (js) Nous considérons donc toutes les expressions finales, intentionnellement, avec préméditation, etc., comme des indices traduisant une action voulue. (js)" C'est effectivement ce que l'on appelle traditionnellement "finalité" que l'on repense en termes d'intentionnalité, ou, comme l'exprime Gross, d'action « délibérée », ce qui attache au schéma sous-jacent d'un verbe donné un trait sémantique que l'on pourrait définir comme : ±...