Archaeoichtyology Research Papers - Academia.edu (original) (raw)
En Suisse, malgré le nombre important de stations palafittiques fouillées et de l’excellent état de conservation des vestiges qui y sont mis au jour, la découverte de restes de poissons est très sporadique et se limite généralement à des... more
En Suisse, malgré le nombre important de stations palafittiques fouillées et de l’excellent état de conservation des vestiges qui y sont mis au jour, la découverte de restes de poissons est très sporadique et se limite généralement à des pièces de grande taille, appartenant principalement à des brochets Esox lucius L., 1758. Pourtant, la présence quasi systématique de mobilier associé aux activités de pêches, de confection relativement élaborée, comme les filets, semble donner davantage de valeur à cette activité. Dans les années 1980, en amont d’un important projet autoroutier sur la rive nord-est du lac de Neuchâtel, les sites de Saint-Blaise/Bains des Dames (Neuchâtel) et d’Hauterive-Champréveyres (Neuchâtel) sont alors fouillés. Le recours au tamisage des sédiments des niveaux anthropiques est à l’origine de la découverte de plusieurs milliers de restes de poissons, comprenant plusieurs espèces de tailles diverses. Dans l’état actuel de la recherche en Suisse, seules trois autres stations lacustres, Montilier-Dorf Strandweg (Lac de Morat, Fribourg - Néolithique moyen), Arbon-Bleiche 3 (lac de Constance, Thurgovie - Néolithique final) et Stansstad-Kehrsiten (lac des Quatre-Cantons, Nidwald - Néolithique final), ont livré un matériel aussi riche.
Trois des sites étudiés dans notre recherche, Montilier-Dorf Strandweg (Lac de Morat, Fribourg - Néolithique moyen), Saint-Blaise/Bains des Dames (Lac de Neuchâtel, Neuchâtel - Néolithique final) et Hauterive-Champréveyres (Lac de Neuchâtel, Neuchâtel - Bronze final), auxquelles s’ajoute le site de Concise-sous-Colachoz (Lac de Neuchâtel, Vaud - Néolithique moyen) dont seulement une petite partie des sédiments a été tamisée, sont situées dans la région des Trois-Lacs. Cette zone géographique constitue donc un endroit privilégié pour préciser l’importance de la pêche dans le système économique des populations ayant occupé les bords des lacs entre 3’900 et 1’035 av. J.-C. L’analyse détaillée, entreprise dans le cadre de cette recherche, des ossements et des écailles, les otolithes étant inexistants, nous permet ainsi d’affirmer que la pêche, bien que loin de rivaliser avec l’agriculture et l’élevage d’animaux domestiques, contribue de manière non négligeable au mode de subsistance de ces populations.
Toutefois, à l’aide d’analyses sclérochronologiques, davantage de précision pourrait être obtenue en déterminant les périodes durant lesquelles cette activité a été pratiquée. En effet, bien que continue, la croissance des poissons est de vitesse variable sous l’effet de paramètres environnementaux et endogènes. Ces changements, corrélés aux cycles saisonniers pour l’Europe tempérée, se marquent sur toutes les pièces calcifiées par l’alternance de structures aux propriétés optiques et chimiques différentes. Ces marques sont donc susceptibles de nous renseigner, non seulement sur l’âge et la croissance, mais également sur la période de capture du poisson. Néanmoins, leur identification sur des vestiges archéologiques se heurte à des problèmes tant taphonomiques que méthodologiques, liés notamment à la reconnaissance de ces structures, aux référentiels, à la significativité des échantillons, à l’âge et à la variabilité individuelle de la croissance. Des espèces identifiées lors de l’étude archéozoologique, seule la perche Perca fluviatilis L., 1758 est suffisamment représentée dans les différents assemblages pour permettre ce genre d’analyse. De plus, au contraire des autres espèces, ses ossements présentent un état de conservation exceptionnel. Néanmoins, en raison de l’opacité prononcée des éléments crâniens plats et des écailles liés à leur enfouissement dans des niveaux riches en matière organique, ainsi que de la structure particulière de certaines pièces squelettiques, seules les vertèbres se sont avérées être adaptées à la lecture in toto des marques de croissance.
Afin de disposer d’un référentiel actuel et local, nécessaire au suivi de l’évolution de croissance annuelle du squelette de cette espèce, nous avons collecté mensuellement, entre les mois de novembre 2009 et novembre 2010, une vingtaine de perches, si possible de tailles différentes, dans le lac de Neuchâtel. A partir de coupes transversales des otolithes, nous avons ensuite montré que la mise en place des différentes structures de croissance était corrélée aux cycles saisonniers. Au contraire des éléments osseux et squameux, les otolithes ne sont que très rarement sujets à des phénomènes de remaniement et/ou de résorption, ce qui nous permet de disposer d’un modèle de référence pour la méthode d’estimation non destructive de la période de la mort des perches sur les vertèbres, que nous avons mis au point dans le cadre de notre recherche. Notre protocole porte sur la face antéro-ventrale des vertèbres 4 à 10 (voire 2 à 13 sous certaines conditions) et repose sur une série de mesures, sur la nature du bord, ainsi que sur la taille de la zone opaque marginale (en lumière réfléchie) si celle-ci est en formation. Cependant, l’application de ce modèle est limitée aux perches de la région des Trois-Lacs dont l’âge est compris entre 2 et 6 ans. De plus, en raison des modifications environnementales et climatiques notables durant l’Holocène dans cette zone géographique, ce modèle n’est applicable qu’aux vertèbres de perches issues de sites dont les occupations correspondent ou sont postérieures à l’Atlantique récent.
Les estimations de saisonnalité obtenues à partir de ce modèle sont fiables, mais relativement larges, en restant globalement limitées aux saisons. Ce manque de précision résulte de la prise en compte de la variabilité individuelle, non négligeable, dans la mise en place des différentes structures de croissance. L’application de cette méthode aux vestiges archéologiques des sites étudiés s’est principalement heurtée à des problèmes de conservation du bord externe des vertèbres. Toutefois, nous avons pu démontrer que les perches avaient été préférentiellement capturées en hiver et au printemps durant les occupations du Cortaillod classique de Montilier-Dorf Strandweg (Lac de Morat, Fribourg) et de l’Auvernier-Cordé moyen de Saint-Blaise/Bains des Dames (Lac de Neuchâtel, Neuchâtel). Cette pêche pratiquée en début d’année pourrait répondre à la diminution des ressources alimentaires issues de l’élevage et de l’agriculture durant l’hiver. Au Bronze final, à Hauterive- Champréveyres, les perches sont attrapées durant toute l’année, à l’exception de l’été, ce qui pourrait suggérer un apport plus régulier de la pêche au fil des mois. Seule la poursuite des études du genre de celle que nous avons entreprise pour la région des Trois-Lacs, et la découverte de nouveaux assemblages, sont susceptibles de nous apporter un jour davantage de précision quant aux modalités d’exploitation de l’ichtyofaune durant les occupations palafittiques.