Explicitation Interview Research Papers - Academia.edu (original) (raw)
26 L'accès aux traces mnémoniques: l'entretien d'explicitation comme une aide à la remémoration et à la description des vécus Pierre Vermersch (Chapitre d'un livre collectif sur l'utilisation des Traces dans les recherches en sciences... more
26 L'accès aux traces mnémoniques: l'entretien d'explicitation comme une aide à la remémoration et à la description des vécus Pierre Vermersch (Chapitre d'un livre collectif sur l'utilisation des Traces dans les recherches en sciences humaines) La psychologie, à la différence d'autres sciences, a un objet d'étude à double face, l'une observable ou enregistrable dans le présent, comme le sont les gestes, les verbalisations, les mimiques, les résultats matériels de l'action ; l'autre invisible, relevant de la subjectivité et directement accessible au chercheur par la seule verbalisation introspective de celui qui l'a vécu. L'histoire ancienne ou l'archéologie ont encore accès aux traces matérielles des vécus, aux écrits, mais ne peuvent plus recueillir la parole. La technique que j'ai créée à la fin des années 80 cherche à documenter la face invisible et développe l'introspection rétrospective et sa verbalisation : je l'ai nommée « entretien d'explicitation ». Comprendre la nécessité d'une nouvelle technique d'entretien, peut être abordé selon deux points de vue. Tout d'abord, il n'existait pas de technique d'entretien centrée sur l'introspection du vécu, les chercheurs ayant pratiqué le recueil de données par introspection (début du XXème siècle, comme l'école de Würzburg, Binet, Burloud, Titchener) avaient très peur de poser des questions, craignant beaucoup d'induire des réponses, et se contentaient donc de recueillir les témoignages spontanés. A mon époque, les techniques d'entretien existantes étaient soit d'inspiration clinique (entretien non directif par exemple), soit orientées vers le recueil des représentations et des opinions, méthodes typiques des recherches sociologiques. Il n'y avait donc pas de techniques disponibles pour mes buts de recherche : la description fine de l'activité cognitive. Mais de plus, et c'est mon second point de vue, une fois le principe du recours à l'introspection admis, il fallait encore pour avoir l'idée de la développer sous la forme d'une technique, dépasser un présupposé tacite présent depuis toujours aussi bien chez les philosophes que chez les psychologues, selon lequel l'introspection allait de soi, qu'il suffisait de vouloir la pratiquer pour qu'elle produise des résultats. Un peu comme si par le seul fait d'être doté d'une voix, nous sachions tous chanter l'opéra, ou par le fait d'avoir des yeux et des mains, nous sachions tous dessiner un portrait ressemblant. Les compétences de base et les outils sont certes bien là, à l'état brut, reste à les déployer, à les exercer, pour leur faire atteindre une vraie performance de chanteur ou de portraitiste. La méthode d'interview que j'ai développée a pour but de palier aux déficiences introspectives de la majorité des sujets en apportant une aide, un guidage respectueux et non inductif des réponses du sujet. Et plutôt que de passer plusieurs années à se former eux-mêmes à l'introspection descriptive, il est possible à un chercheur de suivre une formation de quelques jours pour apprendre à guider l'introspection d'un autre que soi. En fait, il devra apprendre 1/ à guider l'accès aux traces mnésiques accessibles, 2/ apprendre à faciliter la posture descriptive plutôt que des commentaires ou des opinons, de façon à documenter les détails du déroulement du vécu, et 3/ et enfin apprendre à gérer avec éthique et efficacité la dimension relationnelle sur laquelle tout interview repose. On a donc trois ensemble de compétences de guidage à former. Dans ce chapitre et dans l'objectif du livre sur les Traces dans la recherche, je vais particulièrement développer le point 1, c'est-à-dire la possibilité et les conditions pour aider quelqu'un à accéder aux traces mnésiques d'un moment d'un vécu passé singulier (chaque mot à son importance, on le verra plus tard). Les autres aspects sont décrits dans mon livre de base sur la technique (Vermersch 1996). Ce chapitre est donc conçu pour montrer la faisabilité d'un accès aux traces mnésiques. Il est construit en trois temps : A/ Présenter une critique de la psychologie expérimentale de la mémoire, qui a fait d'innombrables constats de déficience de la mémoire humaine, mais n'a jamais explorée ce qu'il était possible d'obtenir en aidant le sujet dans son accès aux traces ; B/ Proposer un modèle théorique qui rende compte de la possibilité d'éveiller les traces déposées dans la mémoire passive et les moyens permettant de créer volontairement l'accès involontaire à cette mémoire; C/ Souligner l'importance pratique et théorique du concept de vécu comme condition de réalisation de l'entretien d'explicitation.