Institutional Ethnography (Research Methodology) Research Papers (original) (raw)

En moins d’une décennie, l’insertion professionnelle des enseignant·es immigrants a suscité un important corpus de recherches au Québec et au Canada francophone. Dans l’ensemble, ces recherches mobilisent des cadres d’interprétation... more

En moins d’une décennie, l’insertion professionnelle des enseignant·es immigrants a suscité un important corpus de recherches au Québec et au Canada francophone. Dans l’ensemble, ces recherches mobilisent des cadres d’interprétation surexposant l’analyse des écarts culturels entre les enseignant·es immigrants et la société d’immigration. En dépit du dispositif mis en place en 2001 afin de corriger les effets de la discrimination systémique en emploi dans les organismes publics, aucune recherche ne lie l’expérience de ces enseignant·es à la sous-représentation persistante du personnel enseignant de groupes racisés au Québec et, de manière plus notoire encore, dans les commissions scolaires francophones de la région métropolitaine de Montréal (RMM) (CDPDJ, 2015).

Menée à partir d’une perspective épistémologique interprétative-critique et d’un cadre d’analyse féministe, cette thèse s’éloigne de ce prisme essentialisant afin de produire de nouveaux savoirs visant à accroître la justice sociale au sein de l’institution éducative. Les courants féministes guidant la thèse se rejoignent dans leur volonté de dévoiler les configurations des rapports sociaux et du pouvoir par lesquelles se matérialise la domination dans les différentes sphères de la société, dont le travail. Inspirée par la méthode sociologique de l’ethnographie institutionnelle, cette recherche prend la forme d’une enquête cherchant à comprendre comment les rapports sociaux, notamment de race, sont organisés et re-produits dans les distributions dissymétriques du travail enseignant. L’enquête a été menée depuis le point de vue d’enseignant·es en insertion professionnelle assignés par des rapports sociaux de race et travaillant dans les commissions scolaires francophones de la RMM (14). Leurs récits et questionnements ont engendré l’exploration des processus institutionnels et pratiques régulant l’obtention d’une autorisation d’enseigner et de contrats de travail. L’enquête a été approfondie par des entretiens menés avec des directions d’établissement d’enseignement (4), des conseiller·es pédagogiques (2), des conseillères syndicales (2) et des employées du secteur des ressources humaines (2) rattachés à deux commissions scolaires de la RMM. Des documents –lois, règlements, rapports, conventions collectives, etc.– organisant à différents égards ces processus ont également été analysés.

Les résultats de la thèse se situent à plusieurs niveaux. Le dévoilement des configurations des rapports sociaux dans le travail enseignant ne peut se faire sans rendre visible, plus largement, les multiples hiérarchies structurant ce travail à même son cadre législatif. À partir de différents fragments de matériaux, la thèse révèle empiriquement comment l’accroissement du travail atypique et précaire en enseignement – plus marqué depuis les années 1990– induit une augmentation des possibilités de hiérarchisation entre les employé·es, desquelles émergent de nouvelles reconfigurations de la division du travail. La thèse montre comment les rapports sociaux de race organisent la distribution du travail dans cette profession déjà structurée historiquement par des rapports sociaux de sexe. Les résultats mettent en exergue la création de « classes » d’enseignant·es hiérarchisées afin de pourvoir à des affectations elles-mêmes classifiées selon qu’elles permettent ou non de progresser dans la carrière. En l’absence de dispositif conséquent en matière de discrimination systémique, cette thèse montre comment l’arbitraire des processus et critères à partir desquels les enseignant·es sont sélectionnés risquent de confiner de manière disproportionnée les enseignant·es de groupes racisés aux emplois atypiques et précaires. À la lumière de ces résultats, la thèse interpelle les acteurs intervenant à plusieurs niveaux de l’institution éducative afin de confronter les inégalités de traitement compromettant l’effectivité du droit à l’égalité entre les personnes composant le personnel enseignant.

Mots-clés : travail enseignant, division du travail, rapports sociaux, domination, rapports de régulation, idéologie raciste, discrimination systémique, ethnographie institutionnelle

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In less than a decade, the professional integration of immigrant teachers has generated a large body of research in Quebec and French-speaking Canada. In general, these studies use interpretive frameworks that rely on an analysis of cultural gaps between immigrant teachers and the host society. Despite measures put in place in 2001 to mitigate the effects of systemic discrimination in employment in public bodies, there is no research linking the experience of these teachers to the persistent under-representation of racialized teachers in Quebec or, even more notably, in the French-language school boards of the Montreal Metropolitan Region (MMR) (Quebec Human Rights Commission, 2015).

Based on a critical/interpretative epistemological perspective and a framework of feminist analysis, this dissertation moves away from this essentializing prism in order to produce new knowledge aimed at increasing social justice within educational institutions. The feminist perspectives guiding the thesis have in common their desire to expose the configurations of social and power relations through which domination in the various spheres of society is materialized, including in the workplace. Inspired by the sociological method of institutional ethnography, this study takes the form of an enquiry seeking to understand how social relations, especially of race, are organized and (re)produced in the asymmetrical distributions of teaching work. The study was conducted from the point of view of vocational integration teachers who were assigned by racial social relations and were working in French-language school boards in the Montreal MRR (14). Their stories and questions led to an exploration of the institutional and practical processes regulating the obtention of a teaching licence and employment contracts. The study was expanded through interviews with principals of educational institutions (4), academic advisers (2), union advisors (2) and employees in the human resources sector (2) within two school boards of the MMR. Documents that codify these processes in different ways –laws, regulations, reports, collective agreements, etc.– have also been analyzed.

The thesis conclusions explore several aspects. The exposure of the configurations of social relations in teaching work cannot be done without more widely exposing the multiple hierarchies structuring this work and even its legislative framework. From various fragments of materials, the thesis reveals empirically how the increase of atypical and precarious work in teaching –which has become more pronounced since the 1990s– induced an increase in the possibilities of hierarchization among employees, from which arose a reconfigurations of the division of labour. The thesis shows how racial social relations organize the distribution of work in a profession already historically structured according to gender social relations. The results highlight the creation of hierarchical "classes" of teachers in order to fill assignments, which are themselves classified according to whether or not they make career advancement possible. In the absence of effective measures to counter systemic discrimination, this thesis shows how the arbitrary nature of the processes and the criteria by which teachers are selected run the risk of disproportionately confining teachers from racialized groups to atypical and precarious jobs. In light of these results, the thesis calls on educational leaders to intervene at several levels of academic institutions to confront inequalities in treatment that effectively compromise equality rights among teaching staff.

Keywords: teaching work, division of labor, social relationships, domination, regulation, racist ideology, systemic discrimination, institutional ethnography